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jeudi, 30 juin 2016

« Si vous pensez que le vote « Leave » ne cherche pas à limiter l’immigration pakistanaise, vous êtes à côté de la plaque »

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Tyler Cowen, né le 21 janvier 1962, est un économiste, professeur d’université et écrivain américain. Il occupe la chaire Holbert C. Harris d’économie en tant que professeur à l’université George Mason, et est le coauteur, avec Alex Tabarrok , du blog d’économie Marginal Revolution. Il est l’auteur de la rubrique «Economic Scene» dans le New York Times, et écrit également pour des journaux tels que The New Republic, The Wall Street Journal, Forbes, Newsweek, et The Wilson Quarterly. Tyler Cowen est aussi le directeur général du Mercatus Center à l’université George Mason. En février 2011, une étude du magazine The Economist le classait comme l’un des économistes les plus influents de la décennie précédente1

Je suis favorable au Remain, mais également à l’immigration, et j’espère encore que les Britanniques s’inspireront du faux départ de DeAndre Jordan. (Je pense que la géopolitique et la sécurité nationale sont des raisons suffisantes pour favoriser le Remain, il suffit de demander à Poutine; en outre, la transition post Brexit semble bien plus problématique que prévue.) Mais je suis de plus en plus gêné par les arguments du Remain. A partir d’un certain moment, nous devons arrêter de moraliser le vote et commencer à le traiter comme un événement, pour mieux le gérer.

En fait, je vois ce résultat comme un vote pour préserver la nation anglaise, et oui j’utilise ces deux derniers mots à dessein; relisez Fintan O’Toole. Revenons en arrière et examinons l’histoire anglaise. Pendant des siècles, l’Angleterre a été habitée par des anglais, et quelques habitants des régions voisines. Allez visiter Norfolk et arrêtez-vous à Yarmouth, décrite par Charles Dickens comme « le plus bel endroit de l’univers», et qui, malgré son déclin, ressemble à l’Angleterre et EST parfaitement anglaise. Ce qui n’est plus le cas de Londres.

Comme le fait remarquer Zack Beauchamp (dans un texte exemplaire de ce que je critique): « … le nombre de personnes nées à l’étranger vivant au Royaume-Uni est passé de 2,3 millions en 1993 (lorsque la Grande-Bretagne a rejoint l’UE) à 8,2 millions en 2014. »

Vu leur concentration, l’impact de ces populations est encore plus important. Londres, le centre culturel, le poumon économique et la capitale politique de l’Angleterre pendant de nombreux siècles, est maintenant essentiellement une ville mondiale, et même étrangère. J’ai passé près de deux semaines à Londres en 1979, et même si je préfère clairement la ville telle qu’elle est aujourd’hui, la différence est flagrante, comme je suis sûr qu’elle l’est pour la plupart des anglais. (Et ce contraste est encore plus saisissant pour les plus âgés, ce qui explique la surpondération des personnes âgées pour le vote Leave ; et il est très indélicat de la part des soutiens du Remain de critiquer les choix de cette population sans doute mieux informés que la moyenne.)

Des villes comme Bradford, majoritairement blanches, ne se sentent plus anglaises (ou saxonnes!) comme par le passé. Et si vous pensez que le vote « Leave » ne cherche pas du tout à limiter l’immigration pakistanaise, vous êtes à côté de la plaque; ce vote a été le seul levier donné aux Anglais pour envoyer un message à leurs politiques.

Ce serait mentir et exagérer que de dire que «l’islam est désormais la première religion d’Angleterre», mais vu le faible taux de pratique dans l’église anglicane, ce n’est plus une affirmation absurde. Pour le meilleur ou pour le pire, beaucoup de gens ne s’adaptent pas à ce changement si rapide et si extrême. Et croyez-le ou non, ils ne sont pas convaincus par mon idée que les « musulmans britanniques doivent conduire la Réforme islamique mondiale ». L’immigration est la cause d’un «traumatisme culturel» qui a été sans doute le plus important pour l’Angleterre depuis Guillaume le Conquérant. La conquête normande, selon beaucoup d’estimations, ne comptait pas plus de 10.000 hommes, par rapport à une population anglaise d’environ 1,7 million à cette époque.

Les Anglais veulent donc une Angleterre qui reste relativement anglaise, et le vote Leave était l’instrument qui leur était donné. En tant qu’américain d’origine irlandaise, cet attachement culturel me parle peu, car je ne ressens rien, sinon de l’amusement, quand quelqu’un me propose « un biscuit adorable », ou quand une petite librairie consacre une section entière au jardinage. Mais je constate bien cet attachement de la part des britanniques. Et c’est pareil pour de vieux morceaux anglais, comme les Beatles, les Monty Python ou James Bond, et je n’évoque même pas les gloires passées comme Trollope ou Edmund Spenser.

On a dit beaucoup de choses sur le paradoxe apparent que l’opposition à l’immigration serait la plus élevée là où le nombre d’immigrants est le plus faible. Oui, il y a bien une partie de racisme et de xénophobie de la part de zones les moins cosmopolites, mais ce serait une grave erreur que de les réduire à ça. Il y a également, principalement, une forte aversion à la perte. Ce sont ces régions qui se souviennent mieux – et vivent encore – de ce qu’est l’Angleterre. Et non seulement ils y tiennent, mais en plus, ils souhaitent que l’évolution future se fasse en cohérence avec celle-ci.

Une façon de comprendre le vote anglais est de le comparer à d’autres domaines, en lien avec l’immigration. Si vous lisez Fukuyama, il décrit correctement le Japon et le Danemark, ainsi que l’Angleterre, comme deux états nations développés, et ce, bien avant la révolution industrielle. Et qu’y voyons-nous ? Par rapport aux autres paramètres démographiques, ils sont très opposés à des niveaux très élevés d’immigration. L’Angleterre se distinguait par son accueil des étrangers, c’est désormais fini, elle a décidé de faire machine arrière et de se comporter comme le Danemark et le Japon.

Visiblement, les vieux Etats-nations cohérents sont ceux qui protègent les mieux les identités nationales (core identities). Est-ce vraiment une surprise ? Le contraste avec la Belgique, d’où j’écris, est remarquable. Les problèmes pratiques posés par l’immigration sont beaucoup plus présents à Bruxelles, mais le pays est bien loin de faire quoi que ce soit à ce sujet. D’autant que la Belgique n’est pas vraiment un Etat-nation mûr et pourrait tout à fait se scinder. Que l’Angleterre ait fait quelque chose est une conséquence de la meilleure gestion de ce pays, même si vous sentez comme moi que ce vote était une grosse erreur.

Bien sûr, les Etats-Unis, le Canada et quelques autres pays sont des États-nations mûrs fondés sur l’idée même de l’immigration, de sorte qu’ils ne sont pas confrontés au même dilemme que l’Angleterre. Par ailleurs, la plus anglaise des colonies – Nouvelle-Zélande – n’a jamais été aussi accueillante des immigrés que l’Australie, par exemple.
L’Ecosse et l’Irlande du Nord ont beaucoup moins d’intérêt pour «le projet anglais » et ont, bien sûr, voté pour le Remain à des niveaux élevés; les Gallois étant un peu plus proches des anglais, ont eu une majorité de Leave. Il faut également rajouter que l’Ecosse et l’Irlande du Nord n’ont jamais été des Etats-nations véritablement cohérents, avec un grand nombre d’Irlandais dans le chaos pendant des siècles, et une Ecosse sur le dos de la Grande-Bretagne. Ils voient l’UE (à raison) comme un moyen d’atteindre une plus grande cohésion interne, et il n’est donc pas surprenant que l’appartenance à l’UE ait conduit à un référendum presque victorieux sur l’indépendance de l’Ecosse. Ce qui après le Brexit, pourrait devenir d’actualité une nouvelle fois.

Adam Ozimek a fait quelques bonnes remarques sur l’immigration. Voici quelques comptes-rendus intéressants de ceux qui ont voté Leave. Notez que le vote «Leave» ne peut même pas modifier pour le moment la politique britannique d’immigration, une fois un nouvel accord conclu avec l’UE.

Restaurer et maintenir ce qui est anglais ? « Trop peu, trop tard!» vous dirais-je, « vous auriez dû plutôt trouver un moyen de renforcer et de redéfinir l’identité anglaise auparavant » aurais pu ajouter, mais bien sûr, personne ne m’a demandé mon avis.

Surtout, je conclurai en disant que le désir de préserver la nation anglaise [sic] anglaise est plus fort que ce que moi ou d’autres avions pu penser. Il y a un côté positif à ce sujet. Si vous aviez pensé tout du long que le Leave ne réussirait jamais, peut-être que le provincial, finalement, c’est vous.

Source : Fdesouche

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