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mardi, 12 juillet 2016

A Beauvais, « plaque tournante » européenne, la tentation d’une sortie de l’UE

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Aux touristes qui se rendent à Beauvais (Oise), le nom de la ville évoque désormais moins son immense cathédrale gothique que l’étape obligée sur leur trajet low cost en Europe. Bien connu des étudiants fauchés, son aéroport est aujourd’hui le royaume de la compagnie irlandaise Ryanair, dont les vols représentent 80 % du trafic. Il est aussi le symbole d’une certaine Europe, où transitent chaque année quatre millions de touristes, de professionnels et de travailleurs détachés venus des quatre coins de l’Union européenne (UE).

Le regard que portent les 55 000 habitants de Beauvais sur l’Europe n’en est pas moins sévère. En 2005, plus de 60 % d’entre eux avaient voté « non » au référendum sur le traité constitutionnel (pour moins de 55 % au niveau national). En décembre 2015, c’est le très eurosceptique Front national qui est arrivé en tête au premier tour des régionales avec 34 % des voix. Le Brexit – la sortie du Royaume-Uni de l’UE – semble avoir ouvert une brèche. Et si la France quittait à son tour l’UE, comme le propose Marine Le Pen ? Chez les Beauvaisiens, l’idée d’un « Frexit » fait son chemin.

« Mieux vaut arrêter les frais tant qu’il est temps »

Pour Thérèse et son fils Etienne (les prénoms ont été changés), petits commerçants, la réponse est évidente. « S’il y a un référendum aujourd’hui sur la sortie de la France, je vote oui, lance le quadragénaire aux cheveux longs sur un ton sans appel. Je souhaite la fin de l’UE. Et comme la France est un pays fondateur, si elle sort, l’Europe n’existera plus. » 

 Hostile depuis toujours à l’UE, cet électeur du FN avait déjà voté non en 1992 au référendum sur le traité de Maastricht. Il reproche à l’Europe de donner « trop à certains pays », « beaucoup aux agriculteurs », mais à lui, « rien, zéro retombée ». La question des migrants, que les partisans du Brexit ont agitée comme une menace outre-Manche, alimente ici aussi l’incompréhension, voire le rejet. Sans compter « ces terroristes qui passent les frontières comme ils veulent en Europe, peste Etienne. Mieux vaut arrêter les frais tant qu’il est temps ».

Chez lui, il a gardé une copie du traité de Maastricht. « C’est une pièce à conviction », s’amuse-t-il. « J’ai essayé de le lire mais c’est incompréhensible », s’agace aujourd’hui encore sa mère. Elle aussi voterait pour le « Frexit ». « On y laissera quelques plumes, mais après on remontera la pente. » Malgré tout, « Marine [Le Pen] idéalise. Tout ne se ferait pas aussi facilement qu’elle le dit ».

Pro-européen, mais pas hostile à un « Frexit »

A l’extrême gauche, le discours de Jean-Luc Mélenchon appelant la France à « sortir des traités européens » rencontre lui aussi de l’écho. De fil en aiguille, certains habitants, pourtant pro-européens, en viennent à envisager la sortie de la France de l’UE comme une option possible.

C’est le cas d’André Alluchon, enseignant à la retraite et vieux militant associatif. En 2005, il avait voté non au référendum par rejet envers « l’Europe des banques et des capitalistes » que proposait, selon lui, le traité constitutionnel.

Douze ans après, le constat est amer. Sur le plan économique, « l’Europe est devenue ce que je craignais ». Sur le plan politique et humain, c’est pire. « La xénophobie et l’extrême droite se répandent partout, se désole-t-il. Ma famille a souffert des deux guerres mondiales. Un aïeul est mort à Verdun, un autre a été déporté à Buchenwald. Donc l’Europe comme espace de paix, ça avait un sens. Mais aujourd’hui, l’UE aboutit à l’inverse de ce qu’on voulait au départ. Je ne vois pas l’intérêt. »

Il continue d’appeler à « contruire une autre Europe ». A défaut, cet « Européen convaincu » ne dirait pas non à un « Frexit ». « Je suis hésitant. Je pourrais être pour, à condition que ce soit sans le FN au pouvoir. »

« Un risque mesuré »

Ceux qui avaient dit oui au traité constitutionnel sont eux aussi en proie au doute. A l’image de Sébastien, jeune sapeur-pompier aux yeux clairs, qui regrette son vote de l’époque. « J’ai l’impression que l’Europe est presque fictive, on ne s’engage pas tous de la même façon dans les conflits à l’étranger, on n’applique pas tous la même politique économique… On est une entité commune, mais à l’intérieur, chacun fait sa sauce. » Il déplore aussi « la hausse du chômage, et l’écart qui se creuse entre les classes sociales ».

Un « Frexit » serait donc « un risque mesuré, mais ce n’est pas inenvisageable. Il faut juste voir si la France aurait les reins assez solides pour assurer d’un point de vue militaire et économique ». Le précédent créé par le Royaume-Uni sera observé à la loupe : « Les Anglais serviront peut-être de test, pour voir comment ça se passe. »

La pédagogie comme rempart ?

La perspective d’une sortie de la France de l’Union européenne fait en revanche frémir Marian Wielezynski, président du comité de jumelage de Beauvais. « C’est aberrant, et ce serait complètement irréalisable », lâche le vieil homme. Pour lui, qui considère que « le jumelage sert à fabriquer des Européens sur le terrain », le Brexit a été « un coup de massue. Ça traduit un échec ».

La semaine dernière, pendant la fête locale, il a reçu cinq Anglais de Maidstone, la ville britannique jumelée avec la commune, et dont la population a largement voté en faveur du Brexit. Le choc était encore tel que ni lui, ni eux n’ont évoqué le sujet. « On a senti qu’ils ne voulaient pas en parler. On est restés impassibles. Ça a été a complètement refoulé », glisse-t-il en touillant son jus de tomate, le regard un peu perdu.

Il oscille entre incrédulité et fatalisme face à un potentiel « effet domino », avec la perspective d’une dislocation de l’Europe. « Maintenant on peut s’attendre à tout », dit-il en haussant les épaules. Comme beaucoup d’autres, il estime que l’Europe s’est élargie « trop vite », et aimerait « revenir au noyau dur, l’Europe des 12, pour faire des choses solides ».

La sénatrice et maire LR de Beauvais, Caroline Cayeux, espère repousser l’idée de la sortie de la France de l’UE, « une pure folie », en « faisant de la pédagogie » auprès des habitants. « On a toujours considéré que Beauvais est une ville carrefour vers l’Europe, car l’aéroport est une plaque tournante, explique-t-elle. Il permet aussi d’optimiser l’attractivité des entreprises locales, qui peuvent rejoindre très vite des capitales européennes. » « Il faut expliquer à quoi sert l’UE et ce qu’elle leur rapporte », assure-t-elle, tout en appelant à « refondre les institutions européennes ».

Quand la ville organise des tombolas, les jours de fête, l’aéroport offre souvent un billet d’avion. Pas sûr que cela soit suffisant pour réconcilier les Beauvaisiens avec l’Europe.

 
Faustine Vincent (Envoyée spéciale à Beauvais)

Source : Le Monde

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