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mardi, 26 juillet 2016

Allemagne : quelles conséquences politiques de la flambée de violence ?

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Les trois attaques de ce week-end vont renforcer le sentiment d'insécurité des Allemands. Il pourrait profiter à Angela Merkel, mais relancer aussi le débat sur sa politique migratoire.

La violence a fait brutalement irruption ce week-end dans la vie quotidienne allemande. Trois attaques ont ainsi eu lieu dans la République fédérale : à Munich, Reutlingen et Ansbach. Douze morts, des dizaines de blessés et la capitale de la Bavière paralysée et bouclée vendredi soir. A cela vient s'ajouter l'attaque à la hache et au couteau perpétré dans un train régional près de Würzburg voici une semaine, qui avait fait quatre blessés graves. Une vague de violence inédite depuis des années pour l'Allemagne.

Le retour de la violence dans les rues d'Allemagne

Certes, l'Allemagne n'a jamais vraiment été immunisée contre la violence terroriste. Le pays a connu une vague terroriste dans les années 1970 principalement, sous l'impulsion de la Fraction Armée Rouge (RAF) qui, par ailleurs, a été active jusque dans les années 1990 et qui reste gravé dans bien des mémoires. L'Allemagne a aussi été le lieu de tueries « à l'américaine » menées par un assassin sans autre motivation autre que celle de tuer. En 2009, à Winnenden, près de Stuttgart, un élève de 17 ans avait ainsi tué 15 personnes dans son lycée et dans la ville dans un acte qui rappelle celui de Munich vendredi soir. Mais la multiplication des attaques la semaine passée à mis en évidence la vulnérabilité du pays. Car, même si les quatre attentats de la semaine passée sont des actes isolés avec des motivations différentes, ils se sont produits les uns après les autres. Ils sont donc de nature à faire naître un sentiment d'insécurité en Allemagne. D'autant que l'attentat suicide manqué d'Ansbach dimanche soir, qui rappelle par son mode opératoire ceux de Saint-Denis le 13 novembre 2015, et a été lundi revendiquée officiellement par l'Organisation de l'Etat islamique semble confirmer que l'Allemagne n'est pas épargnée par le risque terroriste, comme elle a pu parfois le penser.

La sécurité au cœur de la campagne de 2017 ?

Compte tenu du contexte international, il y a fort à parier que ce week-end de violence laisse des traces dans les esprits et jouent sur la campagne électorale de septembre 2017. Pour la première fois depuis longtemps, la question de la sécurité pourrait ainsi s'inviter aux cœurs des débats. Ceci devrait changer radicalement la nature de ces débats, qui, il faut bien l'avouer, sont, depuis l'arrivée d'Angela Merkel au pouvoir en 2005 de faible intensité, se limitant souvent à des discussions sur la réforme fiscale ou à s'interroger pour savoir qui gouvernera après le vote avec la chancelière. Celles de 2017 s'annonçaient déjà différentes avec l'arrivée de plus d'un million de réfugiés et leur intégration, mais il faudra également compter avec celle de la sécurité. Evidemment, il est trop tôt pour évoquer ce débat. Malheureusement, bien des événements peuvent encore se produire d'ici aux élections fédérales. Mais on peut déjà s'interroger sur les effets de ce « week-end noir » sur la situation politique allemande.

Les erreurs d'AfD

La réaction attendue, vu de France, serait un soutien croissant à Alternative für Deutschland (AfD), le parti xénophobe et eurosceptique qui a émergé dans le paysage politique allemand depuis 2013. Mais ce mouvement vers la droite n'a rien d'évident. L'Allemagne n'a pas les mêmes réflexes que le reste de l'Europe sur ce point. En Allemagne, l'extrême-droite nationaliste n'est pas perçue comme une force favorisant la stabilité et la sécurité. C'est plutôt une force d'instabilité ramenant le pays à son passé de l'entre-deux-guerres. Les querelles internes incessantes au sein d'AfD renforcent du reste ce sentiment.

De fait, la hâte avec laquelle AfD a tenté de récupérer politiquement l'attentat de Würzburg et a cherché à fustiger la politique migratoire de la chancelière et à gagner des voix dans les premiers instants de la tuerie de Munich, ne l'a guère servie. Le tweet du porte-parole d'AfD, en pleine crise munichoise, qui a commencé par « Votez AfD ! » avant de commenter la situation a conduit à de vives critiques. Ce cynisme risque de ne guère lui profiter massivement dans les intentions de vote, même si le parti semble désormais s'ancrer dans le paysage politique allemand autour de 10 % et que, désormais, sa voix compte.

Réflexe légitimiste ?

Face à la montée du risque terroriste, interne ou externe, un Allemand fera naturellement davantage confiance pour assurer sa sécurité au pouvoir en place. Il cherchera à le renforcer pour renforcer l'Etat. La figure tutélaire d'Angela Merkel peut ainsi se rappeler à l'esprit des Allemands. Dans les années 1970, le chancelier Helmut Schmidt n'a jamais été aussi populaire que lorsqu'il se montrait ferme contre la RAF. Une fois ce danger écarté, il est d'ailleurs devenu très impopulaire... Dans un premier temps, donc, on peut penser que ce « réflexe légitimiste » joue en faveur de la chancelière. Mais elle n'aura pas pour autant la partie gagnée.

La question du lien entre réfugiés et insécurité

Le principal défi de la chancelière sera d'éviter que le sentiment d'insécurité se confonde avec la critique de sa politique migratoire. Le caractère de la tuerie de Munich, l'acte le plus grave de ce week-end, perpétrée par un tueur allemand, isolé et fasciné par le terroriste norvégien d'extrême-droite Anders Breivik mais sans vraie motivation politique empêche aujourd'hui une telle dérive. Comme après la tuerie de Winnenden, en 2009, le débat porte plutôt sur les effets des jeux vidéo violents.

Mais ceux qui critiquent la politique migratoire de la chancelière ne vont pas oublier que trois des quatre attentats de ce week-end ont été effectués par des réfugiés. Certes, à Reutlingen, où une femme a été tuée à la machette, il s'agirait d'un drame amoureux. Mais l'effet est néanmoins désastreux pour Angela Merkel. Quant à l'attentat de dimanche soir à Ansbach qui a fait douze blessés et a tué le terroriste, il est peut-être le plus inquiétant. Un bilan plus élevé n'a été évité que par chance. Surtout, la presse allemande révèle que cet homme avait vu sa demande d'asile rejetée et aurait dû être expulsé vers la Bulgarie, pays par lequel il est entré dans la zone Schengen.

La CSU prête à exploiter la situation

L'affaire d'Ansbach pourrait donc être exploitée par les critiques de la politique migratoire d'Angela Merkel qui avaient commencé à utiliser l'attentat de Würzburg, commis avec une motivation islamiste revendiquée par son auteur. Elle va leur permettre de faire le lien entre accueil des réfugiés et risque d'attentat. AfD pourrait tenter d'en profiter. Mais le risque pour la chancelière réside plutôt dans la CSU bavaroise. Trois des quatre attentats de cette semaines ont eu lieu en Bavière, dans le fief de cette CSU qui, depuis septembre 2015, n'a cessé de critiquer la politique d'Angela Merkel. Aux affaires dans ce Land, la CSU s'est naturellement montrée plus prudente qu'AfD pendant la tuerie de Munich. Mais le parti va pouvoir désormais incarner les malheurs des Bavarois et il pourrait alors encore durcir son discours vis-à-vis des réfugiés afin de valider sa fermeté passée. Après Würzburg, la CSU avait déjà commencé à demander un meilleur contrôle des frontières. Ansbach et Reutlingen vont lui donner d'autres occasions de poursuivre dans ce sens. Le ministre de l'intérieur CSU de Bavière, Friedrich Hermann, n'a ainsi pas manqué de souligner après Ansbach que "à côté de nombreux réfugiés dont la vie était en danger sont venus des gens qui représentent un danger pour notre sécurité".

Situation tendue

Or, quoique plus mortelle, la tuerie de Munich, comme jadis celle de Winnenden, risque d'être oubliée dans le discours politique. Elle relève d'une complexité sociale et psychologique qui échappe aux solutions simples d'une campagne électorale. Ce ne sera pas les cas des trois autres attentats. La mise en équivalence de la question des réfugiés et de l'insécurité en Allemagne n'est donc pas à exclure, compte tenu de la volonté de la CSU et de l'AfD de jouer sur cette corde. Ceci placerait Angela Merkel en difficulté, mais représenterait aussi un risque pour l'Allemagne où, on l'oublie trop souvent en France, les violences contre les réfugiés sont très fréquentes. A la mi-juin, l'office criminel fédéral (BKA) s'inquiétait du nombre « affreusement élevé » de ces attaques. En juillet, on relève deux blessés graves suite à ces attaques. La situation est donc tendue outre-Rhin et le débat politique peut prendre une tournure défavorable à la chancelière. D'autant que la situation en Turquie complexifie encore la donne en mettant en danger l'accord avec Ankara sur les réfugiés. Angela Merkel va devoir donner des gages à ses critiques et risque donc de maintenir une politique devenue depuis quelques mois beaucoup plus restrictive sur l'immigration.

Romaric Godin

Source : La Tribune

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