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mercredi, 03 août 2016

Islam en France: "Beaucoup trop d'imams parlent avec leur culture d'origine"

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Dans une tribune publiée dans le JDD, plusieurs personnalités musulmanes, issues de la société civile, dénoncent "l'impuissance" des institutions religieuses face à la montée de l'islamisme radical. Réaction de l'imam de Bordeaux, Tareq Oubrou.

Après l'attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray, faut-il apporter une réponse religieuse à la montée de l'islamisme radical? Alors que Manuel Valls a plaidé pour la fondation d'un "nouveau pacte avec l'islam de France", une quarantaine de personnalités signent dimanche une tribune dans le JDD intitulée: "Nous, Français et musulmans, sommes prêts à assumer nos responsabilités." 

Dans cet appel, ces philosophes, médecins, universitaires et autres chefs d'entreprise critiquent le fonctionnement des organisations religieuses traditionnelles, estimant qu'elles sont "impuissantes" face au djihadisme et qu'elles n'ont "aucune prise sur les événements". Ils estiment que les représentants du culte méconnaissent les musulmans de France, désormais majoritairement "jeunes" et non immigrés. Les signataires proposent aussi une batterie de mesures: mieux former les imams, repenser les discours religieux et réactiver la Fondation de l'islam de France pour organiser le financement des mosquées.  

 
 Recteur de la mosquée de Bordeaux, Tareq Oubrou livre son analyse pour L'Express. 

Souscrivez-vous à l'appel de ces 40 personnalités musulmanes pour une nouvelle réorganisation de l'islam en France? 

Tareq Oubrou. C'est un appel qui est partagé par tous les musulmans. S'il faut évidemment réformer l'islam de France, il serait faux de prétendre que la solution est seulement religieuse. Vaincre Daech et la barbarie passe aussi par une réponse économique, géopolitique et un travail politique sur la question du vivre ensemble. Les djihadistes sont des délinquants, des déséquilibrés qui basculent rapidement dans la violence avec un vernis faussement islamique alors qu'ils n'ont aucune culture religieuse. 

Sans remettre en cause le Conseil français du culte musulman (CFCM), il faut reconnaître que c'est une institution qui manque d'interlocuteurs solides. A la différence d'un consistoire ou d'un évêché, qui comportent exclusivement des rabbins ou des évêques, elle manque de véritables théologiens, d'imams qui ont une véritable pratique religieuse adaptée à la société et à la culture françaises.  

Faut-il revoir le financement des mosquées, comme le plaident les signataires? 

C'est un faux problème. Soit on laisse l'Etat subventionner les mosquées, ce que la loi de 1905 interdit, soit on laisse les musulmans trouver leurs sources de financement. Il faut vérifier le contenu des discours religieux dispensés dans la mosquée. C'est la compétence et la qualité de l'équipe que l'on doit observer avant tout. 

Les signataires dénoncent des représentants religieux qui seraient coupés de la population musulmane dans sa diversité. Soutenez-vous ce diagnostic? 

Effectivement, beaucoup d'imams parlent avec leur culture d'origine, ce qui participe indirectement à la marginalisation des musulmans plutôt qu'à leur intégration. Il faut que les représentants religieux se démarquent de leurs pays d'origine, de leur ethnicité et de leur théologie médiévale. Plutôt que superposer un islam turc de France, un islam africain de France, un islam maghrébin de France, il faut instaurer un islam acculturé, qui prenne en compte les mentalités de la société française, ses peurs et ses angoisses et la diversité des musulmans.  

C'est un fait: il y a des musulmans dans les laboratoires, dans les médias, dans le sport, dans le showbiz... Le discours doit être contemporain, ne plus s'adresser au musulman isolé et s'inscrire dans les évolutions de la France et de la République. L'islam est trop souvent vécu comme un bouclier identitaire, avec des symboles, plutôt qu'une spiritualité acculturée. 

La tribune a été vivement critiquée pour avoir omis de citer les victimes juives des attentats. Qu'en pensez-vous? 

C'est une omission malheureuse. J'ignore si elle a été consciente ou non mais il faut évoquer tous les attentats. Le terrorisme à vernis islamique frappe tout le monde: hier les juifs, aujourd'hui les catholiques. Peut-être demain les djihadistes s'attaqueront-ils aux mosquées. Les musulmans sont aussi des victimes de ce nihilisme destructeur. 

De nombreuses scènes de solidarité entre musulmans et catholiques ont été montrées par les médias. L'attaque de Saint-Etienne-du-Rouvray a-t-elle finalement rapproché les religions? 

Il faut rendre hommage à l'église catholique qui n'a pas succombé au sentiment de vengeance et est restée fidèle au message de l'évangile: "Pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font." Le pape lui-même a mis en garde contre la tentation de l'amalgame entre terrorisme et islam, il a rappelé que la religion est au service de l'humanité. 

Le contexte a été favorisé par le fait que le dialogue islamochrétien est développé depuis les années 80. Le père Jacques Hamel (assassiné lors de l'attentat, NDLR) lui-même s'était engagé dans cette voie. Nous avons su préparer la résistance face à la tentation du repli. 

Propos recueillis par Jérémie Pham-Lê

Source : L'Express

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