jeudi, 15 septembre 2016
Islam, les préfets sur tous les fronts
Un grand colloque sur la laïcité est organisé jeudi 15 septembre à Paris par le corps préfectoral. Il sera conclu par le ministre de l’intérieur.
L’essor de l’islam oblige les préfets à veiller à l’intégration de cette religion à la République. Gardiens de la laïcité, ils doivent s’assurer que les libertés religieuses respectent l’ordre public et prévenir la radicalisation. Témoignages.
Le chantier évolutif de la laïcité
Préfète du Lot depuis 18 mois, Catherine Ferrier livre un début d’inventaire. En positif : l’imam de Cahors, qui ne parlait pas un mot de français, s’est mis à suivre une formation accélérée. « Je lui avais dit que cela comptait pour moi, y compris en termes de renouvellement de titre de séjour ». En négatif, l’absence de mosquée pour la communauté musulmane. « Vu leurs faibles ressources, je n’ai pas encore réussi à trouver de solution avec les élus locaux. »
Même sur ces terres radicales-socialistes du Sud-Ouest, où les musulmans pèsent peu, la question religieuse est devenue une priorité pour la représentante de l’État. Pour elle comme pour tous ses confrères, l’essor de l’islam a relancé le chantier de la laïcité.
« Le métier de préfet évolue avec la société. Depuis une vingtaine d’années, on assiste à une inversion du phénomène de sécularisation, avec un retour du religieux », analyse Didier Leschi, préfet, ancien chef du bureau des cultes au ministère de l’intérieur, et aujourd’hui directeur général de l’office français de l’immigration et de l’intégration.
Les préfets sur tous les fronts
Aux avant-postes de la République, le corps préfectoral intervient sur tous les fronts. Dont celui de l’organisation d’une confession encore fragmentée.
En Seine-Saint-Denis – environ 600 000 musulmans sur 1,5 million d’habitants –, le préfet Philippe Galli (1) a dû retrousser ses manches. « Avec les nouvelles générations, nous avons affaire à des responsables souvent passés par l’université, qui tiennent un discours plus structuré mais plus identitaire. »
Il a mis en place une conférence du culte musulman qui réunit plusieurs fois par an tous les interlocuteurs. « Il s’agit d’offrir un lieu d’échange, de limiter l’influence des réseaux radicaux, poursuit-il. Globalement, c’est bien perçu par les responsables. 99 % des musulmans sont dans une logique pacifique. »
Un chemin compliqué dans le Sud
Préfet de Nice, Adolphe Colrat a réuni ce qu’il appelle une « troïka », représentant les trois principales associations de musulmans des Alpes-Maritimes. Dans un département marqué par les conflits identitaires, le chemin est encore compliqué.
Lorsqu’il était maire de Nice, Christian Estrosi (LR) s’est opposé à l’ouverture du centre culturel et cultuel En-Nour, projet qui, selon le préfet, n’appelait pas d’opposition. En juin, le juge administratif puis le conseil d’État ont fait injonction à la municipalité de délivrer l’autorisation d’ouverture au titre des établissements recevant du public.
Le préfet était dès lors tenu de se substituer au maire, qui campait toujours sur son refus. Les manœuvres de l’élu ont abouti à diviser les responsables musulmans. « Résultat, je n’ai plus de troïka », regrette le préfet, qui doit remettre ses interlocuteurs autour d’une table… ou en trouver de nouveaux.
De l’islam en France à l’islam de France
La priorité est aussi celle de la formation. Ancien préfet de Mayotte – avant d’être nommé dans l’Indre –, Seymour Morsy y a organisé un cycle sur la République et la laïcité destiné aux quinze cadis (juges musulmans – NDLR) de l’île. « L’occasion aussi de réfléchir aux comportements qu’on peut avoir dans les services publics, à l’hôpital… », témoigne le préfet. Cette année, des aumôniers musulmans vont à leur tour se former.
Cette prise en charge du culte par l’État laïque ne suscite guère d’état d’âme. « On est passé de l’islam en France à l’islam de France, analyse Seymour Morsy. L’expression religieuse radicale pose problème. Ne rien faire n’est pas la solution. »
La prise en compte des cultes
« On n’organise pas le culte, on aide au libre exercice du culte », nuance Didier Leschi. Au bureau des cultes, il avait rédigé des circulaires à destination des préfets pour qu’ils incitent les maires à intégrer des carrés musulmans dans les cimetières ou qu’ils interviennent contre ceux qui empêchent abusivement la construction de mosquées.
En quinze ans, on est passé de 100 à 600 carrés musulmans, plus de 1 000 lieux de culte ont été ouverts. Preuve, selon nos interlocuteurs, que l’intégration de l’islam peut se faire sereinement.
La fermeté sous contrôle du juge
Reste le défi de l’essor des réseaux salafistes ou intégristes. Les affaires de prière de rue, de provocations communautaristes constituent une réalité « émergente », dit l’un d’eux. Dans les Alpes-Maritimes, le préfet a fermé huit lieux de culte sur 45 (six sont toujours fermés). « La laïcité nous commande d’être intransigeants à l’égard de tout discours qui remet en cause les lois de la République », explique Adolphe Colrat.
Une attitude sans concession, nette dans le principe mais compliquée à mettre en œuvre, reconnaît Philippe Galli. « Quand on ferme une mosquée, on le fait pour un motif d’ordre public. La difficulté, c’est de le caractériser. Quand j’entends dire qu’il y a dans les mosquées salafistes des appels au djihad, c’est faux ! Il faut pouvoir qualifier une atteinte à la sûreté de l’État. Dans la pratique, cela demande beaucoup de prudence. Nous travaillons sous le contrôle du juge administratif et du juge de libertés ».
Les « signes religieux » sur la sellette
La loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux à l’école n’a pas mis fin aux débats sur le port du voile qui taraude la société. Faut-il aller plus loin, au risque de changer les équilibres de la laïcité ? Si les préfets sont tenus à un devoir de réserve, on devine des positions nuancées.
Seymour Morsy cite la ministre de l’éducation Najat Vallaud-Belkacem, qui a déclaré au Nouvel Observateur : « Ma mère porte le foulard. Je serais bien en peine de vous dire ce qui relève de la coutume, de la religion, du conformisme social et culturel ou même de la pudeur. »
Dans la confidence, un autre préfet glisse en revanche : « Il faudrait, exception faite des ministres du culte, interdire les tenues ou signes religieux dans l’espace public, qu’il s’agisse des hommes qui s’habillent à l’afghane ou de ceux qui portent la kippa ».
Une même position envers la radicalisation
Le problème de la lutte contre la radicalisation fait en revanche l’unanimité. « Nous avons eu plusieurs départs en Syrie, s’inquiète Catherine Ferrier. Dans le Lot, nous enregistrons un taux de signalement de personnes présentant un risque de dérive égal à la moyenne nationale. »
La préfète décrit ces mécanismes d’emprise de prédateurs sur des personnes fragiles, cite le cas d’une jeune femme partie faire ses études à Toulouse, « récupérée de justesse ». Dans toutes les préfectures, les « cellules de suivi » de la radicalisation travaillent ainsi au cas par cas. « On cible de mieux en mieux les personnes à risque, assure Philippe Galli. Si la menace reste très forte, le temps joue en faveur des pouvoirs publics. Les mailles du filet se resserrent. »
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UN PREMIER COLLOQUE CLAUDE ERIGNAC
L’association du corps préfectoral organise aujourd’hui un colloque Claude Erignac (du nom du préfet de Corse assassiné en 1998). Thème de cette première rencontre annuelle : « La République laïque : toujours et pour toujours ? ».
Président de l’association du corps préfectoral, Jean-François Carenco, préfet de la région Île-de-France précise l’un des enjeux du colloque. « Aujourd’hui, trois problématiques, la laïcité, le communautarisme et l’immigration, se superposent mais ne sont pas les mêmes. Si on les confond, on crée des fractures. »
Quatre tables rondes : approche historique et juridique ; la place des religions (avec Thierry Magnin, recteur de l’institut catholique de Lyon) ; les difficultés dans les quartiers, les prisons, l’hôpital ; L’avenir du modèle de laïcité.
Interviendront de grands témoins : Henri Pena-Ruiz, Blandine Kriegel, Jean Baubérot, Michel Serres, Jean-Louis Bianco, Régis Debray. Clôture par le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve.
(1) Il vient d’être nommé directeur de l’administration pénitentiaire.
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