Le rapport «Un islam français est possible», publié par l'Institut Montaigne, think-tank libéral créé par Claude Bébéar, a déjà fait couler beaucoup d'encre, notamment par les chiffres avancés sur la pratique de l'islam en France. Mais les 120 pages de cette enquête ne se contentent pas de dresser le portrait des musulmans français, elles esquissent des pistes de recommandations. Pour l'auteur du rapport, l'entrepreneur Hakim El Karoui, ex-banquier chez Rothschild, membre du cabinet de Jean-Pierre Raffarin et soutien de Ségolène Royal en 2007, le système mis en place en 2003 avec la création du CFCM a montré ses limites et est incapable de répondre aux nouveaux enjeux de la radicalisation.
La philosophie générale du rapport est d'essayer de couper l'islam de France des pays étrangers, notamment du Maghreb, en créant les conditions de possibilité d'un financement et de formations françaises. Une idée «ridicule» pour l'imam de Bordeaux Tareq Oubrou, qui estime que le financement par des fonds étrangers ne pose pas de problème, tant que la traçabilité et la légalité des financements est prouvée. «On accepte bien l'argent du Qatar pour financer des équipes de football», déclare-t-il au Figaro. «Ce qui compte, c'est de contrôler les activités et les discours». Le recteur de la grande mosquée de Paris Dalil Boubakeur a le même avis: ««Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de couper tout lien entre l'islam de France et les pays étrangers. Dans la mondialisation dans laquelle nous vivons, il y a eu une entraide qui est légitime, pourvu qu'elle soit contrôlée et transparente.»
• Une taxe halal pour financer les mosquées
Pour faire sortir l'islam de France de la tutelle des États étrangers, le rapport préconise de mettre en œuvre un financement des mosquées par une redevance sur la consommation halal, qui serait perçue et centralisée par une «Association musulmane pour un islam français». Celle-ci serait la seule à pouvoir délivrer un certificat d'agrément de l'abattage halal, au lieu de trois mosquées aujourd'hui, liées à des états étrangers. L'association centraliserait également les dons des fidèles, pour les redistribuer dans le salariat des imams et le financement des lieux de culte.
L'idée d'une «taxe halal» pour financer l'islam français n'est pas nouvelle, et a été reprise récemment à droite, notamment par Nathalie Kosciusko-Morizet. Elle est loin de plaire aux responsables religieux musulmans. Pour Tareq Oubrou, cette mesure serait «une infraction à l'égard du droit français qui garantit que la fiscalité ne soit pas confessionnelle» et «contraire à la loi de 1905». Dalil Boubakeur, dont la grande mosquée certifie une partie de la viande halal, se dit lui aussi opposé à une centralisation des taxes, craignant un «détournement des fonds, qui coûtera de l'argent à une religion qui reste la plus pauvre de France et souffre d'un déficit de moyens.»
• La création d'un «grand imam de France»
L'Institut propose également l'élection d'un «grand imam de France», qui, à l'instar du «grand rabbin de France» ou du président de la conférence des évêques de France, serait chargé d'«exprimer une doctrine musulmane compatible avec les valeurs républicaines». Cette proposition a déjà été faite par l'islamologue Malek Chebel, mais aussi par l'imam de Drancy Hassen Chalghoumi. Pour Tareq Oubrou ce serait «idéalement» une bonne idée, mais l'imam de Bordeaux doute des moyens d'y parvenir. Dalil Boubakeur y est opposé: «J'estime que l'islam sunnite a supprimé le califat en 1922. La beauté de l'islam réside justement en son absence d'autorité religieuse unique qui puisse s'ingérer dans la liberté religieuse», affirme-t-il. «Le CFCM avait été créé pour assurer le dialogue entre les musulmans et l'Etat, sans être une instance décisionnaire».
• L'élargissement du concordat d'Alsace-Moselle à l'islam
L'exception concordataire permet à l'Alsace-Moselle de reconnaitre et de financer quatre cultes: catholique, luthérien, réformé et israélite. L'Institut Montaigne propose d'y rajouter l'islam. La proposition d'inclure l'islam revient souvent dans l'actualité: en 2006, une proposition de loi avait été déposée en ce sens à l'Assemblée par François Grosdidier, sénateur UMP de la Moselle, sans succès. Le recteur de la grande mosquée de Paris Dalil Boubakeur s'y dit très favorable. L'institut chiffre à 6 millions d'euros cet élargissement, qui permettrait la rémunération d'une soixantaine d'imams et la prise en charge d'édifices publics musulmans par les pouvoirs publics.
• Le développement de l'enseignement de l'arabe
Pour intégrer davantage les musulmans français, l'Institut recommande «d'enseigner l'arabe classique à l'école publique pour réduire l'attractivité des cours d'arabe dans les écoles coraniques». S'appuyant sur un sondage IFOP montrant que 67 % des musulmans désirent voir leurs enfants étudier l'arabe classique et 56 % qu'il soit enseigné à l'école publique, l'Institut Montaigne prône la valorisation des ELCO (enseignements de langues et cultures d'origine) et leur intégration aux sections internationales. «Je suis pour un islam de France pratiqué par des musulmans de culture française», rappelle Dalil Boubakeur. «Si certains veulent apprendre l'arabe, pourquoi pas. Mais ce n'est franchement pas la priorité.»
L'Institut préconise également de développer les statistiques religieuses, afin de mieux lutter contre les préjugés et les discriminations, mais aussi de «rédiger un ouvrage scolaire d'histoire commun avec l'Italie, l'Espagne, le Maroc, l'Algérie et la Tunisie, afin de mettre en perspective historique les apports mutuels et les convergences religieuses et culturelles entre les deux rives de la Méditerranée».
Le rapport est reçu avec frilosité par les instances officielles, qui préféraient que la réforme provienne des musulmans eux-mêmes. A noter cependant que selon l'enquête de l'Institut Montaigne, les institutions officielles sont de moins en moins représentatives des musulmans français. 9% d'entre eux seulement affirment connaître le CFCM. Seuls 16% des musulmans interrogés se sentent «proches» de Tareq Oubrou et Dalil Boubakeur, qui sont considérés comme des personnalités officielles et modérées de l'islam de France. Le plus controversé prédicateur suisse Tariq Ramadan est lui apprécié par 37% des sondés.
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