mercredi, 21 septembre 2016
«C'est toujours au nom des droits individuels qu'avance l'islamisation»
Le plus polémique des éditorialistes français publie une épaisse compilation de ses chroniques radiophoniques, brossant l’état des lieux d’une France et d’une Europe en passe de perdre leur culture.
Avec «Un quinquennat pour rien» (Albin Michel), regroupant ses chroniques sur la station de radio RTL, Eric Zemmour s’est d’emblée placé dans le haut du classement des ventes. Avec aussi son lot de polémiques évidemment, dont celle, assez surréaliste, concernant l’absence, à sa propre surprise (une erreur d’édition que personne ne s’explique) de quelques textes qui avaient fait débat, dont l’intervention où il parlait de «bombarder Molenbeek»: elle devrait être rajoutée dans les prochaines éditions.
Mais le cœur de ce livre réside dans son propos liminaire: un essai d’une cinquantaine de pages au pessimisme revendiqué, dans lequel Zemmour décrit une France à la souveraineté perdue (c’était déjà le thème de son précédent ouvrage, «Le suicide français»), et prédit le pire: un pays en train de mourir, perdant son identité en cédant, sous le nombre, à l’islamisation. Il viendra en parler mardi soir à Genève, lors d’un dîner débat qui promet de faire le plein.
Ce qui est rassurant, c’est que vous semblez mauvais pronostiqueur. Dans une de vos récentes chroniques vous expliquiez que la France allait se faire battre par l’Allemagne en demi-finale de l’Euro de foot.
Arrêtez, vous avez tout faux: relisez ma chronique. J’y explique qu’effectivement, si tout se passe comme d’habitude, ce n’est même pas la peine de jouer: on va perdre. Mais que… et ce «mais que» est fondamental. Car, il représente le sursaut possible, si on ne se comporte pas comme à l’ordinaire, et c’est ce qui est arrivé. La France a, c’est la première fois, éliminé l’Allemagne. On passe aux choses sérieuses?
Pourquoi portez dans le texte liminaire un regard si négatif sur la France d’aujourd’hui?
C’est la même histoire que ce que je viens de vous expliquer sur le football. Si on regarde l’histoire de France, il y a toujours eu une succession d’effondrements et de sursauts. A chaque fois, il y a eu une sorte d’homme providentiel, ou une femme, avec Jeanne d’Arc: Bonaparte, de Gaulle, etc.
Alors, aujourd’hui, soit on croit que la France va continuer son histoire, et donc on aura une révolte populaire contre ce que je décris: la colonisation, l’envahissement; soit on continue comme cela, et la France connaîtra le destin que nous promet Houellebecq dans «Soumission».
Quelle différence entre lui et vous?
C’est un romancier, voilà. Je vous dirais que Tariq Ramadan a eu une intéressante formule au moment de la sortie du «Suicide français»: il a dit que «Soumission» était la version romancée du livre de Zemmour. Pour une fois, je suis d’accord avec ça.
Vous rappelez le combat de Philippe Séguin contre le Traité de Maastricht.
Oui, j’aimais beaucoup Séguin, j’avais de l’affection pour lui, au-delà de la politique. Ce qu’il a mené alors, et perdu, c’était le combat pour la souveraineté.
Mais l’argument européen, c’était garantir la paix: c’est le cas depuis plus de septante ans, ce n’est pas rien, non?
Votre erreur est de croire que la paix est venue de cette construction européenne. Mais on ne vit pas en paix grâce à l’Europe, c’est l’inverse: l’Europe est une conséquence de la paix. Et la paix est elle-même une conséquence de la domination américaine sur l’Europe, et de la longue opposition à l’URSS. En 1945, les Etats-Unis ont réglé une histoire vieille de trois siècles. La France, puis l’Allemagne, avait essayé d’unifier le continent européen.
A chaque fois, une puissance continentale a tenté de s’agrandir, de reconstruire, pour aller vite, l’empire de Charlemagne. Et à chaque fois, l’Angleterre, jouant des divisions, a fait échouer ce projet. Sur les ruines de ces trois pays, les Etats-Unis ont imposé un genre de protectorat. C’est ça, l’histoire de l’Europe. Et l’Europe actuelle a détruit les souverainetés nationales sans forger une souveraineté européenne. Un ratage total, mais qui n’est plus la question. Désormais, c’est notre identité qui est menacée.
Cette bataille de l’identité, doit-elle passer par le populisme?
Je suis de ceux qui pensent que le populisme, c’est ce que le peuple a trouvé de mieux pour répondre au mépris des élites. Il existe aujourd’hui une angoisse identitaire de toute l’Europe.
Vous qui êtes le produit de l’intégration, vous ne croyez plus à ce modèle?
Ma famille vient de contrées qui sont tout à fait les mêmes que celles d’où viennent les immigrés d‘aujourd’hui. Mes parents, mes grands-parents, au-delà d’une culture française récente – ma famille n’est française que depuis 1870 – avaient aussi une culture orientale, arabo-andalouse, avec des ancêtres berbères. J’ai ainsi longtemps pensé que tous pourraient s’assimiler, qu’il n’y avait aucune raison de croire le contraire.
Mais il y a plusieurs «mais». Le premier, c’est la démographie. Comme disait le général de Gaulle: «On assimile des individus, pas des peuples.» Aujourd’hui, le nombre est trop grand. Engels, que je cite dans le livre, avait cette analyse: «A partir d’un certain nombre, la quantité devient une qualité.»
C’est la première base de mon désespoir. Nous avons laissé venir trop de gens. Aujourd’hui, on ne vient plus en France pour s’intégrer à la France, mais pour s’intégrer à une diaspora. Elle peut être arabo-musulmane, évidemment, mais aussi africaine, ou asiatique, etc.
Mais on n’intègre plus la France. Deuxième «mais»: nos élites ont renoncé à l’assimilation pour accepter une espèce de multiculturalisme de fait. Troisième «mais»: tout simplement l’islam, qui est, je le crois, inassimilable au monde français, européen, chrétien.
L’islam, qui ne s’est jamais considéré comme une minorité, mais qui, au contraire, entend imposer sa domination.
Vous avez aussi une agressivité absolue envers les droits de l’homme, au nom desquels on défend souvent les différences. Pourquoi?
La tradition française, rousseauiste, fait un équilibre entre les droits de l’individu et les droits de la nation. C’est la nation qui est libre et souveraine, et l’homme n’est libre que parce que sa nation l’est. Ça me va tout à fait.
Sauf que cette tradition a été abandonnée par les élites et les juges. Tous se sont soumis, sous l’influence anglo-saxonne, à une façon de privilégier les droits individuels.
Les dirigeants musulmans les plus engagés, des Frères musulmans aux salafistes, ont bien compris l’usage redoutable qu’ils pouvaient faire de cette conception, et c’est toujours au nom des droits des individus qu’ils avancent dans l’islamisation de la société: voile à l’école, vêtements, prière dans la rue, nourriture halal en entreprise, se faire soigner par un médecin du même sexe, ou récemment la tentative de privatiser des plages, avec cette trouvaille du burkini. Tout cela, avec une grande habileté rhétorique, impose peu à peu une islamisation.
Vous n’avez pas poussé un peu en disant que Rachida Dati n’aurait pas dû prénommer sa fille Zohra?
Non. j’assume et je le lui ai dit. Le prénom, c’est la France, c’est le lien avec sa culture d’accueil. Qu’elle préfère un prénom arabe démontre ce que je vous explique.
L’élection présidentielle à venir se jouera sur ces enjeux?
Je pense que cette élection présidentielle ne servira à rien. Marine Le Pen sera au second tour. Elle va perdre. La gauche va faire élire Nicolas Sarkozy ou Alain Juppé. Et comme, ou même pire, qu’en 2002, le président de droite sera prisonnier de son élection due à la gauche, et il ne se passera rien.
Alain Juppé, sur le thème de l’identité, a de toute façon le programme de la gauche. Nicolas Sarkozy, pour des raisons électorales, s’est, certes, emparé de thèses opposées, comme la suppression du regroupement familial par exemple, à laquelle je suis favorable.
Mais il ne dit pas que, pour cela, il devrait sortir de la Convention européenne des droits de l’homme. Il faut le faire, mais je crains que Sarkozy ne tienne ensuite rien de ce qu’il a promis. Il n’y a pas d’issue pour l’instant.
Nous n’avons pas besoin de politique, maintenant, nous avons besoin de diagnostic. C’est ce que j’essaie de faire. Après, les mesures viendront d’elles-mêmes. (Le Matin)
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