mercredi, 21 septembre 2016
Sondage sur les musulmans : le responsable de l'enquête s'explique
Un rapport sur les musulmans, publié dans "le JDD", apporte des informations détaillées sur l'islam de France. Hakim El Karoui, son auteur, explique la démarche de cette enquête. Interview.
Hakim El Karoui, consultant en stratégie, est à l'origine de l’enquête sur les musulmans commandée à l’Ifop par l’Institut Montaigne et publiée le 18 septembre dans "Le Journal du dimanche". Pour "l’Obs", il explique sa démarche et détaille ses préconisations, à la fois pour l’Etat, et pour les musulmans.
Quel était le but de votre démarche ?
- La première raison, évidente, qui a motivé cette enquête, c’est que ça va mal. Les attentats, la montée du fondamentalisme, etc... Pire, ça va mal, mais on ne sait rien. Pour qu’un médecin puisse soigner une maladie, il doit pouvoir la décrire.
Il faut faire bouger les lignes. L’organisation de l’Islam repose sur un accord ancien qui donne les clés aux mosquées, très liées aux pays d’origine. Or celles-ci pèsent peu dans l’islamisation ou l’islamité des musulmans aujourd’hui, et sont débordées par des acteurs qui utilisent la religion à des fins politiques.
On a pu mettre en doute la légalité d’une telle enquête, dans un pays où le maniement des statistiques ethniques ou religieuses est très encadré par la loi...
- En France, on peut faire tout ce que l’on veut, tant que les réponses récoltées sont anonymes, volontaires et déclarées à la CNIL [Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés, NDLR]. Il ne s’agit pas de dresser dans un fichier la liste exhaustive des personnes musulmanes qui ont répondu aux questions du sondage de l'Ifop, mais de mener une enquête sur les opinions religieuses.
Comment avez-vous réussi à travailler sur un échantillon de plus de 1.000 personnes ?
- Parmi un échantillon représentatif de près de 15.000 personnes, l’Ifop a trouvé 1.029 musulmans – soit de confession musulmane, soit de culture musulmane, c'est à dire nés de parents musulmans. Cette distinction est importante : 15% des enfants de parents musulmans nous ont dit qu’ils ne l’étaient pas eux-mêmes. A l’inverse, 7% de ceux qui nous ont déclaré être de confession musulmane sont des convertis.
Quels principaux enseignements avez-vous pu tirer des résultats de ce sondage ?
- Les résultats sont paradoxaux. On voit qu’une majorité de la population musulmane est dans une trajectoire d’insertion sans heurts sur le système de valeurs républicaines, alors qu’un bon quart est très conservateur et peut représenter un marché pour les plus fondamentalistes.
Une forme de rébellion idéologique émerge, qui ne se fait pas pour l’islam – les fondamentalistes qu’on voit n’y connaissent pas grand-chose –, mais par l’islam.
La part des personnes musulmanes croyantes ne représente que 5,6% de la population globale. Quelles sont les idées reçues que votre rapport permet de démonter ?
- L'enquête révèle qu’il n’y a pas de communautarisme musulman ni d’école confessionnelle. 78% des musulmans interrogés ne voteraient pas pour un candidat aux élections juste parce qu’il serait musulman. Ils sont par ailleurs très peu engagés dans des associations, et il n’y a pas de lobbys musulmans. Et puis, ils ont les mêmes problèmes que le reste de la population française : ils considèrent qu’ils paient trop d’impôts, qu’il n’y a pas assez d’emploi…
En revanche, les personnes interrogées se différencient sur certains points bien précis : 67% des non religieux considèrent que les enfants pourraient devoir manger halal dans les cantines scolaires, et les musulmans sont majoritairement favorables au port du voile en dehors de l’école (65% des personnes interrogées). Enfin, ils sont beaucoup plus conservateurs sur la sexualité avant le mariage.
Selon le rapport, la moitié des jeunes musulmans croyants (15-25 ans) adhèrent à un islam d’affirmation, qualifié de "fondamentaliste". Qu’est-ce que cela signifie ?
- Ce chiffre révèle un immense problème identitaire chez les jeunes, et l’utilisation de l’islam comme d’une identité de rupture. Rejetés par la société française, ces jeunes sont victimes de discrimination de manière constante et n’ont pas accès à l’école, ou alors à une école complètement ghettoïsée.
Ils n’ont ni l’identité du pays d’origine, ni celle de la classe ouvrière… Être musulman devient une identité à part entière. On se retrouve dans une sorte d’équation maléfique : si vous voulez être vous-mêmes, il faut être musulman, et pour vous épanouir complètement, il faut être le plus fondamentaliste possible.
N’avez-vous pas peur que la publication de tels résultats attise la peur et les craintes ?
- Savoir, c’est pouvoir. Non, les résultats ne sont pas bons, mais la politique de l’autruche n’a jamais résolu quoi que ce soit.
Quelles préconisations faites-vous ?
- Il faut mener la bataille de la connaissance de toute urgence. Cela peut être le rôle de la Fondation pour l’islam de France, ou de l’enseignement de l’arabe, que l'on propose de relancer très rapidement.
De la même manière que le latin et le grec ancien servent à l'apprentissage du français, la langue arabe est construite à partir de ses racines. Quand on apprend l’arabe, on voit défiler l’histoire et on s'imprègne de sa culture. C’est un moyen d’avoir accès à du savoir, dans un contexte où les seuls qui se donnent cette tâche, aujourd’hui, sont les islamistes radicaux, voire les terroristes.
Mais cette bataille ne se mènera pas sans argent, en réunissant trois intellectuels dans un bureau. Il faut des gens dont les jeunes musulmans puissent être fiers, avec une vraie légitimité scientifique et religieuse et un niveau de professionnalisme plus abouti que les gestionnaires de lieux de cultes – 68% des musulmans interrogés ne connaissent même pas le Conseil français du culte musulman (CSCM).
Enfin, il faut d'importants relais de communication. Cette bataille de la connaissance, c'est aussi une bataille de communication.
Propos recueillis par Julia Mourri
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