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mardi, 27 septembre 2016

Initiative «Contre l’immigration de masse»: un pari impossible à tenir

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La solution adoptée par le Conseil national peut se justifier politiquement, mais une mise en œuvre stricte de l’art. 121a, qui soit en même temps conforme à l’accord sur la libre circulation des personnes est tout simplement irréalisable, est convaincue Véronique Boillet

Le dernier acte de la pièce de politique migratoire la plus populaire de notre pays – celle dont les trois coups avaient été frappés par l’acceptation au rasoir de l’initiative «Contre l’immigration de masse» – est-il en passe de trouver son dénouement?

Oui, si l’on en croit la récente décision du Conseil national, qui a suivi pour l’essentiel les propositions de sa commission des institutions politiques (CIP) pour la mise en œuvre de l’art. 121a de la Constitution fédérale. Le Conseil des Etats doit encore se prononcer.

Ce projet contient deux mesures principales: une clause de sauvegarde et un système de préférence nationale light. Instantanément désapprouvé par l’UDC qui considère qu’il ne met pas suffisamment en œuvre l’art. 121a, le projet bénéficie en revanche du soutien de la majorité des partis, au motif qu’il serait conforme à l’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP).

Pour rappel, les autorités avaient d’emblée considéré que les objectifs définis par l’art. 121a n’étaient pas conciliables avec l’ALCP et qu’à défaut de solution négociée avec l’UE, la mise en œuvre de cette disposition constitutionnelle exigerait la dénonciation de l’Accord. La commission – suivie par le plénum – a tenté de démontrer le contraire.

Clause de sauvegarde

Tout d’abord, la CIP propose d’impliquer le Comité mixte (composé de représentants de la Suisse et de l’UE) pour tout actionnement de la clause de sauvegarde – rendant ainsi ce système conforme à l’ALCP. Ce faisant, la CIP a fait le choix de se distancier du texte de l’art. 121a pour privilégier le respect du droit international et concilier ainsi les objectifs de limitation de l’immigration (prévus par cet article) avec le maintien de la libre circulation.

Si un tel choix peut se justifier – à nos yeux – d’un point de vue politique, il n’en demeure pas moins que cette clause de sauvegarde ne respecterait pas l’art. 121a, principalement en raison du fait que la Suisse ne pourra pas gérer l’immigration «de manière autonome».

Quelles pourraient en être les conséquences juridiques? Notre Constitution excluant tout contrôle de la constitutionnalité des lois fédérales, il ne sera pas possible de faire valoir la non-conformité de cette clause. En somme, les partisans d’une application stricte du texte de l’art. 121a n’auront qu’une solution: celle de s’opposer à l’entrée en vigueur de la loi fédérale en déposant une demande de référendum. Et si une telle demande devait aboutir, puis l’emporter, le législateur se retrouverait – retour à la case départ – dans la même impasse qu’au lendemain du 9 février 2014.

Préférence nationale incompatible avec l’accord

Deuxième épine (dorsale) du projet de la CIP, la préférence nationale light: selon les informations rendues publiques à ce sujet, il s’agirait pour le Conseil fédéral de définir des seuils d’immigration à partir desquels les employeurs seraient tenus de communiquer la liste des postes de travail vacants aux Offices régionaux de placement – privilégiant ainsi les résidents.

Un tel principe, puisqu’il implique une différence de traitement en fonction de la résidence, est discriminatoire et donc incompatible avec l’ALCP.

Reste à déterminer les conséquences d’une telle incompatibilité. A cet égard, rappelons que le Tribunal fédéral a récemment précisé qu’en cas de conflit, l’ALCP prime les lois fédérales. Face à une telle mesure discriminatoire, l’ALCP l’emportera donc sur la loi fédérale instituant une préférence nationale.

Réaction possible de l’UE

Il n’en demeure pas moins que les Européens risquent de devoir faire face à des difficultés lorsqu’il s’agira de contester l’application de ce principe de préférence nationale. En effet, non seulement l’identification des voies de recours est très complexe, mais en plus la preuve d’une discrimination en raison de la nationalité est difficile à apporter – si tant est qu’elle puisse même être découverte.

Signalons aussi que le principe de la préférence nationale est susceptible d’entraîner une réaction de la part de l’UE. Cette dernière est en effet en droit d’engager une procédure de règlement des différends devant le comité mixte, voire même de dénoncer l’accord – ce qui aurait pour conséquence d’actionner la «clause guillotine» et de mettre ainsi un terme au premier paquet des bilatérales. Reste que la réaction de l’UE, guidée par des considérations politiques, est hautement imprévisible.

Pari impossible à tenir

Au final, le projet de la CIP avalisé par le Conseil national ne nous apparaît pas comme la solution miracle. La commission n’est pourtant pas à blâmer: une mise en œuvre stricte de l’art. 121a, et en conformité avec l’ALCP (soutenu par le peuple et les cantons de manière bien plus nette que l’initiative en question), est à notre sens tout simplement irréalisable.

Si ce n’est son abrogation, une modification de ce dernier article, nous permettant de respecter nos engagements internationaux, paraît donc nécessaire. Reste à déterminer si une telle proposition aurait les faveurs, in fine, du citoyen.

Véronique Boillet est professeur assistante à l’Université de Lausanne

Letemps.ch

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