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dimanche, 23 octobre 2016

Suisse : Faut-il faire revoter le peuple sur l’immigration ?

 

 

Le Conseil fédéral a jusqu’à mercredi pour décider d’un contre-projet à l’initiative RASA qui veut annuler le vote du 9 février 2014. Le parlement pourrait se trouver seul au front.

 Alors qu’elle est en train de cicatriser, faut-il rouvrir la blessure du 9 février? Il reste quatre jours au Conseil fédéral pour décider s’il oppose un contre-projet à RASA. RASA? C’est cette initiative qui propose une solution drastique au casse-tête posé par le vote contre l’immigration de masse: faire comme si ce dernier n’avait pas eu lieu et biffer l’article constitutionnel issu de l’initiative UDC acceptée en 2014.

Si les autorités parviennent à résoudre l’équation migratoire sans dommage pour les Bilatérales, les initiants pourraient retirer leur texte. Mais comme le Conseil fédéral ne sait pas encore à quelle sauce le parlement concoctera la loi d’application, sa décision d’élaborer un contre-projet serait une mesure presque préventive. En s’assurant la possibilité de convoquer la population pour un nouveau scrutin sur l’immigration, il s’aménagerait ainsi une voie de secours si les choses devaient mal tourner.
«Cela arrange bien le Conseil fédéral que ce soit le parlement qui fasse le sale boulot»
Le calendrier ne fait donc pas les affaires du gouvernement. La Commission des Etats planche en ce moment même sur la préférence indigène «light» adoptée par le National. Même si on présume à Berne que tout durcissement n’aurait qu’une dimension «cosmétique», le Conseil fédéral n’a pas toutes les cartes en main. Selon des sources proches du dossier, les sept Sages hésitent sur ce qui s’apparente à une décision plus stratégique que politique. Faire revoter le peuple revient à dire qu’il s’est trompé.
Profiter de RASA pour concocter un plan C permettrait aussi au Conseil fédéral de reprendre le leadership sur ce dossier. Leadership qu’il a peu à peu délégué au parlement. Le veut-il vraiment? Plusieurs élus n’en sont pas convaincus. «Le gouvernement a passé deux ans à chercher un mandat de négociations qu’il n’a pas obtenu, nous glisse un membre de la Commission des institutions politiques. Nous, nous avons fait avancer le projet en cinq mois. Cela arrange bien le Conseil fédéral que ce soit le parlement qui fasse le sale boulot.»


Divergences de vues


Cette retenue du gouvernement s’explique aussi par la vision différente que les divers ministres concernés ont de ce dossier. Simonetta Sommaruga a dès le départ défendu une application stricte du texte. La ministre de la Justice se voit comme la garante des lois et a du mal à s’accommoder des «arrangements» qui ont conduit à une mise en œuvre «light». Cette position «rigide» aurait même conduit à des prises de bec avec la présidence du PS. En tant que ministre des Affaires étrangères, Didier Burkhalter a un autre calendrier en tête: celui du futur accord institutionnel qu’il doit négocier avec Bruxelles. Un temps envisagée, l’idée de traiter ensemble les deux dossiers a depuis été abandonnée. Enfin, Johann Schneider-Ammann plaide pour une solution favorable à l’économie. C’est lui qui aurait donné des «clins d’œil encourageants» pour la préférence indigène «light». Des divergences de vues qui ne plaident pas pour une reprise en main gouvernementale du dossier.

Un contre-projet aurait toutefois des avantages. Il permettrait de gagner du temps. «Le Conseil fédéral pourrait décider de lancer un contre-projet sans en préciser la teneur exacte, explique Cesla Amarelle (PS/VD). Il s’octroierait ainsi un délai jusqu’en avril. Une période durant laquelle il pourrait observer les résultats des travaux au parlement.» Si la solution trouvée permet de sauver les Bilatérales tout en gardant la face devant le peuple, tout va bien. Dans le cas contraire, il aurait toujours la possibilité de corriger le tir avec un nouveau vote (voir ci-contre).


Insécurité juridique


Sous la Coupole, certains vont plus loin. Pour Andrea Caroni (PLR/AR), il est essentiel d’élaborer un contre-projet. «Toute loi d’application, même la plus dure, qui respecte les accords bilatéraux avec l’Union européenne sera trop éloignée de ce qu’a voté le peuple. Il faut réduire ce grand écart. Si on ne veut pas durcir la loi au point où elle viole nos accords internationaux, il faut proposer un changement de Constitution.» Le sénateur invite donc le Conseil fédéral à saisir la balle au bond. «S’il constate qu’il reste un écart, il doit montrer qu’il est prêt à agir.»
Un avis que ne partage pas un autre vice-président du PLR, Philippe Nantermod (VS). «Je suis moins convaincu par RASA qu’au début. Certains points de l’initiative UDC ne sont pas respectés, c’est vrai. Mais la loi est dynamique, elle peut évoluer. D’ailleurs, personne ne sait dans quel sens va aller l’Union européenne avec le Brexit. La libre circulation de demain ne sera peut-être pas celle que l’on connaît aujourd’hui.» Le Valaisan ajoute l’argument de la stabilité. «Un contre-projet signifierait ouvrir un nouveau front. Est-on sûr de gagner en votation? J’y vois surtout de l’insécurité juridique. La blessure est en train de cicatriser, évitons de la rouvrir.» Face à cet optimisme, Andrea Caroni rétorque: «Une blessure mal soignée ne guérit pas, elle s’infecte.»


«Un non-choix»


Cette agitation laisse l’UDC de marbre. «Toute cette discussion ne change rien au fond du problème, explique Albert Rösti (BE), président du parti. Entre l’initiative RASA qui demande de revenir en arrière ou un contre-projet qui confirmerait la voie actuellement choisie par le Parlement, c’est un non-choix. L’immigration ne serait pas mieux gérée. Dans les deux cas, nous devrions nous y opposer.»

 Florent Quiquerez

24heures.ch 

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