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mercredi, 18 janvier 2017

Merci aux médias de starifier Abdeslam !

Salah Abdeslam est « l’unique survivant du commando du 13 novembre », « l’homme le plus surveillé de France », il est « placé à l’isolement et filmé 24 heures sur 24 » et les journalistes citent son nom en feignant de défaillir de peur sur leurs jambes. Les commentaires sur les conditions de sa détention et les mots choisis pour évoquer le personnage l’entourent d’une sorte de mystère qui favorise la fascination. La cruauté des actes dont il s’est rendu coupable et son omniprésence médiatique invisible en font une sorte de croisement entre Hannibal Lecter et la bête du Gévaudan. Dans une société où toutes les subversions sont favorisées par le discours sur la libéralisation des mœurs et des passions, faut-il s’étonner de trouver, entre les lettres de curieux et les lettres d’insultes qu’il reçoit, quelques véritables déclarations d’amour ? Dont certaines de femmes qui, apprend-on, rêvent de porter l’enfant de la Bête.

En faisant d’Abdeslam ce personnage de film d’épouvante, les médias ont sans doute cru qu’ils faisaient d’une pierre deux coups : le sensationnel pour l’Audimat et la mise en scène angoissante pour rendre le tueur le plus répulsif possible.

C’est oublier qu’à ce jeu, on récolte parfois des fruits que l’on n’a pas semés. Dans Émile, ou De l’éducation (1762), Jean-Jacques Rousseau doute qu’il faille utiliser les Fables de La Fontaine dans l’enseignement des règles de sagesse et de morale aux enfants. Il remarque qu’avec des fables qui mettent en scène un personnage malicieux supposé représenter le vice, contre un personnage qui incarne finalement la droiture, l’enfant, au lieu de s’identifier à ce dernier comme on s’y attend, trouve finalement la malice plus exaltante et plus séduisante ! Et Rousseau d’en tirer la conclusion qu’avant d’aller à la pêche, il faut bien choisir son hameçon. Du fond de sa cellule, pour la première fois, Salah Abdeslam a répondu à l’un des nombreux courriers qu’il reçoit, et comme s’il était une star d’Hollywood, son acte est scruté par les médias qui en font un événement. Kate Middleton a eu un enfant ! Salah Abdeslam a écrit une lettre ! Nelson Mandela est mort ! Qui sait si, à ce rythme, la lettre du terroriste ne sera pas vendue aux enchères dans cent ans, comme objet historique, comme on achète aujourd’hui la correspondance de Baudelaire ou un manuscrit autographe de Saint-Exupéry.

On apprend, toutefois, grâce à cette lettre que l’assassin n’exprime pas le moindre regret, qu’il est toujours aussi zélé, qu’il n’a honte de rien et qu’il encourage son admiratrice à se soumettre à Allah, « seigneur de l’univers ». Cette inflexibilité dans sa foi et dans son engagement devrait bientôt nous valoir un éloge de la part d’un écrivain de gauche ou d’un journaliste à moustache noire et épaisse, très émus de cette fidélité pure et noble, sans parler des apprentis talibans que ce modèle de « rectitude » ne manquera pas d’inspirer. Disons donc encore merci aux médias de « starifier » Salah Abdeslam chaque fois qu’ils en parlent.

Jonathan Sturel

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