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samedi, 04 novembre 2017

L'Europe face au défi du repli identitaire

Dominique Moïsi / Chroniqueur - Conseiller spécial à l'Institut Montaigne

 

La crise des démocraties européennes a conduit à un repli sur soi et à un réveil des cicatrices du passé, comme le prouve l'exemple de la Catalogne. Populisme et indépendantisme sont aujourd'hui les deux facettes d'un même malaise identitaire.

« Je me réveille comme un Ecossais, au son de la cornemuse et avec des odeurs de porridge ; je déjeune comme un Européen, alternant les plaisirs de la France et ceux de l'Italie ; je passe la soirée comme un Britannique, en regardant les séries de la BBC. »

Mon interlocuteur, originaire d'Edimbourg, a adopté le ton de la plaisanterie. Mais sa formule humoristique traduit une réalité profonde. Il est à l'aise dans son monde d'identités multiples. Il y voit une source de richesses. La formule de Theresa May, « ceux qui se sentent citoyens du monde ne sont citoyens de nulle part », le choque. Il n'en comprend pas le sens.

Alors que l'Ecosse, presque autant que l'Espagne, attend avec impatience  les résultats des élections anticipées du 21 décembre prochain en Catalogne, la décontraction identitaire de mon ami écossais me revient à l'esprit, et, avec elle, l'un des enjeux de l'élection présidentielle française. Le concept d'identités multiples présuppose en effet une identité heureuse. L'affirmation d'une identité exclusive accompagne souvent des identités malheureuses. Le sport est le miroir idéal des émotions identitaires. La majorité des Catalans peut souhaiter la victoire de l'équipe de football de Gérone sur celle du Real Madrid, souhaiterait-elle la défaite de l'équipe d'Espagne face à la France, l'Italie ou l'Allemagne ?

Identité étroite

La crise catalane a des sources historiques, politiques et sociales spécifiques. Elle ne s'inscrit pas moins dans un contexte plus global que l'on peut en Europe résumer ainsi. A l'heure de la mondialisation, comment concilier  l'exigence rationnelle de souveraineté européenne et le rejet émotionnel d'une citoyenneté, plus seulement européenne mais désormais nationale  ?

 

Notre sécurité ne peut être garantie que dans un cadre européen. Pour un continent comme l'Europe, compte tenu de sa démographie et de sa géographie, il n'existe pas de réponse exclusivement nationale. Le paradoxe est que certains, par un mélange de ressentiment et d'aveuglement, se lancent dans la quête chimérique et anachronique d'une identité toujours plus étroite.

Processus de fragmentation

Le concept de souveraineté européenne nécessite l'existence de nations fortes, unies et confiantes en elles-mêmes. Des nations dont les citoyens soient à l'aise avec le concept - et la réalité - d'identités multiples. Or, le dysfonctionnement des régimes démocratiques, la montée des inégalités sociales, l'éloignement toujours plus grand entre les « élites » nationales ou européennes et les « peuples », ont conduit à un repli identitaire sur soi-même qui se concentre désormais sur le « plus petit dénominateur commun ».  Au lendemain de la chute de l'URSS, on avait assisté, au sein de l'ancien bloc socialiste, à un processus de fragmentation qui allait du divorce pacifique entre la Slovaquie et la Tchéquie jusqu'à la séparation violente entre les différentes composantes de la Yougoslavie. Cette quête de la différence, parfois « marginale » en termes identitaires, était la réponse d'esprits désorientés face au processus de la mondialisation.

Les cicatrices de la Catalogne

Aujourd'hui, en Catalogne, les cicatrices du passé se réveillent d'autant plus facilement que la gestion du présent s'avère contestable. Et sur ce plan, quelle que puisse être la dérive dans l'irrationalité de certains  dirigeants catalans, le pouvoir espagnol porte lui aussi sa part de responsabilité. Il n'a pas su incarner et donc défendre avec sérénité et fermeté l'unité de la nation. Une chose est certaine : supprimer l'autonomie, c'est encourager l'indépendantisme. La tentation est grande, chez certains Catalans, d'en appeler à la République contre la monarchie et d'établir une forme de continuité - qui est totalement injustifiée - entre Franco hier et Rajoy aujourd'hui.

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