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samedi, 03 février 2018

Une association réveille le débat sur le « racisme anti-Blanc »

L'Olra, qui se présente comme une association antiraciste, entend combler un vide. Elle est soupçonnée d'alimenter le discours identitaire.

Par Louis Chahuneau

Son apparition sur Twitter a déclenché une vague d'indignation. Sur YouTube, sa vidéo de présentation a été censurée avant d'être republiée. L'Organisation de lutte contre le racisme anti-Blanc (Olra), créée par Laurent de Béchade mi-janvier, a vécu des débuts compliqués. Sur son site internet, l'association explique vouloir prévenir les actes racistes contre les Blancs, et sensibiliser l'opinion publique sur le sujet. « Le racisme anti-Blanc est bel et bien réel, et l'absence de ce sujet dans la sphère médiatique entretient l'inaction dans le champ politique », peut-on y lire.

Le sujet est sensible. L'Olra a reçu des réactions mitigées : d'un côté, beaucoup de moqueries, et même des insultes de la part de militants antiracistes, de l'autre, des sympathisants identitaires félicitant le travail de l'association. En effet, le racisme anti-Blanc reste un cheval de bataille privilégié de l'extrême droite.

L'organisation a beau se présenter comme « laïque, apolitique et indépendante », Laurent de Béchade reconnaît : « Des extrémistes soutiennent notre cause, comme le Front national, mais on veut s'écarter de cela. » Ce n'est pas son interview au site classé à l'extrême droite boulevard Voltaire qui le lui permettra. « Je peux juste dire qu'on s'inscrit dans la ligne de SOS Racisme », insiste l'ancien conseiller bancaire de 28 ans. Le président de SOS Racisme, Dominique Sopo, s'étrangle : « C'est gaguesque, lunaire ! Défendre l'existence du racisme anti-Blanc, c'est rendre service à l'extrême droite. Cette association est à l'opposé de la lutte antiraciste. »

« Rejet de l'oppresseur »

Si des actes racistes à l'encontre des Blancs peuvent advenir ponctuellement, le concept du « racisme anti-Blanc » est loin de faire l'unanimité. Ces manifestations « concernent une faible proportion de personnes. Elles sont vécues uniquement dans l'espace public sous forme d'insultes, alors que le racisme [envers d'autres communautés] peut impacter l'accès au travail ou au logement, et se manifeste par toutes sortes de discriminations. Concernant les Blancs, il n'y a pas d'impact sur l'insertion sociale », remarque Carole Reynaud Paligot, chercheuse en histoire à la Sorbonne-Paris I, et auteur de plusieurs livres sur le racisme.

Elle s'appuie notamment sur l'enquête TeO (Trajectoires et origines), un des rapports les plus fouillés sur les discriminations en France, où les statistiques ethniques sont interdites depuis 1978. L'étude menée par l'Ined (Institut national des études démographiques) en 2008-2009 concerne 22 000 personnes et conclut que la population majoritaire peut déclarer des expériences de racisme, « mais dans une proportion beaucoup plus faible (15 %) que les minorités racisées, et surtout, ce racisme ne se produit qu'une fois, le plus souvent dans la rue ». En comparaison, 55 % des descendants de pays d'Afrique centrale et 38 % des descendants de Marocains et Tunisiens interrogés déclarent avoir été victimes de racisme explicite au cours de leur vie en France.

« La plupart du temps, les actes racistes anti-Blancs sont perpétrés par des personnes stigmatisées qui expriment leur frustration par un rejet de l'oppresseur. On appelle cela le retournement stigmate », explique Carole Reynaud Paligot, à l'origine de l'exposition « Nous et les autres, des préjugés au racisme » qui a eu lieu au musée de l'Homme en 2017.

 

Discriminations Ined ©  Ined

Extrait de l'enquête TeO menée par l'Ined en 2008-2009.

© Ined

 

 

Le débat autour du « racisme anti-Blanc » ne date pas d'hier. En 2005, plusieurs personnalités publiques comme Alain Finkielkraut et Jacques Julliard avaient publié un manifeste contre les « ratonnades anti-Blanc » : des lycéens qui manifestaient s'étaient fait dépouiller par de jeunes voyous. À l'époque, SOS Racisme et la Ligue des droits de l'homme (LDH) avaient dénoncé un appel « irresponsable ». La polémique a refait surface en 2012, lorsque Jean-François Copé, alors président de l'UMP, avait dénoncé l'existence d'un « racisme anti-Blanc ». Najat Vallaud-Belkacem, ancienne porte-parole du gouvernement, y faisait allusion dans son livre Raison de plus !, évoquant ce « racisme anti-Blanc dont chacun peut convenir sans mal ni complaisance qu'il existe et qu'il est aussi condamnable et stupide que tout autre ». Même le journaliste sportif Pierre Ménès y était allé de sa déclaration en 2010, en évoquant des cas au sein de l'équipe de France de football.

Rapports sociaux

Peinant à s'accorder sur la définition même d'un racisme anti-Blanc, certains sociologues lui préfèrent le terme de « contre-racisme ». Éric Fassin, sociologue spécialiste des questions raciales à l'université Paris VIII, explique : « Lorsqu'on parle de racisme anti-Blanc, on revendique une conception purement individualiste, alors que le racisme repose sur des rapports sociaux. Le racisme est un phénomène de domination sociale, donc, par définition, il ne peut pas être symétrique. » Parler de racisme anti-Blanc est donc « absurde », selon lui.

Mais Laurent de Béchade n'en démord pas : « On n'est pas d'accord avec ce schéma dominant-dominé. Il n'y a pas de privilèges pour les Blancs. » « Mon privilège est lié à la réussite de ma famille, pas à ma couleur de peau », tente de convaincre le jeune homme. Pour Éric Fassin, le but de l'Olra est d'« installer ce concept de racisme anti-Blanc propre aux identitaires dans le langage mainstream. Et ils ont une chance de réussir ».

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