vendredi, 08 avril 2016
Suisse : Le pays a-t-il besoin d’imams suisses?
Le père des frères de Therwil (BL) serait un imam controversé. La formation des chefs de prière en Suisse fait débat.
L’affaire des jeunes frères bâlois dispensés de serrer la main de leur enseignante continue de nourrir un débat national. Mercredi, la presse alémanique révélait que non seulement l’un des deux adolescents de Therwil présentait des signes de radicalisation, mais également que son père officiait en tant qu’imam dans la mosquée bâloise du roi Fayçal. Celle-ci s’est fait connaître en 2013 pour avoir affiché sur l’un de ses murs une fatwa légitimant «des crimes de quelque nature qu’ils soient» contre les non-musulmans.
De quoi raviver la crainte que les discours radicaux ne se propagent au sein des mosquées suisses. Une crainte nourrie par plusieurs cas récents, à l’exemple des prêcheurs extrémistes repérés au sein des communautés musulmanes de Genève ou de Winterthour. En mars encore, l’un des quatre accusés d’activités terroristes jugés par le Tribunal pénal fédéral de Bellinzone était lui aussi soupçonné de dispenser des discours haineux dans des lieux de culte à Zurich, à Lucerne et à Winterthour.
Pas de surveillance
Ces affaires relancent le débat, vieux de quelques années déjà, de la formation des imams en Suisse. L’enseignement permettant de devenir un chef de prière musulman n’existe pas dans notre pays. La grande majorité des prêches sont assurés par des étrangers établis en Suisse. Il arrive également que des mosquées fassent venir des imams de l’étranger. Ceux-ci disposent d’un statut spécial aux yeux du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), qui décide ou non de leur octroyer une autorisation de séjour – pour une durée plus ou moins limitée – en tant que «personne assurant un encadrement religieux en faveur d’une communauté en Suisse».
Depuis 2010, 84 imams ont reçu une autorisation de séjour. En cinq ans, seuls sept refus ont été prononcés pour divers motifs d’intégration, mais aucun ne concernait des questions sécuritaires. Une fois entrés en Suisse, les imams ne sont pas soumis à une surveillance particulière. «Le Service de renseignement de la Confédération (SRC) ne dispose d’aucune base légale qui l’autorise à observer les imams et leurs activités en Suisse, indique sa porte-parole Isabelle Graber. Cependant, s’il dispose de preuves concrètes qu’un imam est membre d’un groupe ou d’une organisation terroriste ou qu’il encourage la violence, le SRC peut prendre des mesures préventives.» A savoir une enquête, voire une interdiction d’entrée.
«Pour un islam ouvert»
L’imam Mustafa Memeti, président de l’Association islamique albanaise de Suisse, se dit inquiet. «Certains cas en Suisse représentent selon moi un danger, déclare le Bernois. Ils participent notamment à la création d’une société parallèle.» Pour combattre un phénomène qu’il estime en augmentation, Mustafa Memeti plaide depuis plusieurs années pour une formation théologique suisse. «Nous avons besoin d’imams nés et formés en Suisse, capables de prêcher un islam ouvert et conforme à la culture de notre pays», martèle-t-il.
L’imam concède que la mesure ne peut résoudre à elle seule l’ensemble du problème. «Il revient surtout à la communauté musulmane, mais également à l’ensemble de la société d’être proactifs pour combattre ensemble cette tendance négative.»
Le président de l’Union vaudoise des associations musulmanes, Pascal Gemperli, plaide aussi pour un enseignement suisse. «Un imam formé ici serait plus apte à comprendre le fonctionnement de notre communauté dans le contexte helvétique.» Une reconnaissance des équivalences pourrait être mise en place pour les imams déjà en service depuis longtemps. Il ajoute que, si les mosquées suisses sont plus volontiers appelées «centres», c’est parce qu’elles constituent le nerf de la communauté musulmane. «Nous échangeons avec les autorités, les autres communautés religieuses, nous organisons des fondues pour nos membres… En plus de sa fonction première, un imam est aussi médiateur, travailleur social, «psychologue», expert interreligieux, accompagnateur spirituel en prison, etc. Un imam formé ailleurs aura plus de peine à comprendre ce mode de fonctionnement, même s’il est adepte d’un islam modéré et tolérant.»
Pascal Gemperli doute malgré tout que des imams suisses puissent à eux seuls résoudre le problème de la radicalisation. «Les concernés ne se radicalisent pas à travers les mosquées, mais sur Internet, en petits groupes. Le meilleur imam ne pourrait pas les en empêcher. Les derniers cas d’attentats à Paris ou à Bruxelles le montrent, il s’agit souvent de fratries. Comme dans une secte, ils basculent en petit cercle fermé et isolé. Ils sont théologiquement déconnectés de leur communauté religieuse.» Le Vaudois évoque donc un problème «plus social que théologique. Le meilleur remède contre la radicalisation reste l’intégration.»
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