lundi, 11 avril 2016
Le salafisme gagne du terrain à Roubaix
Depuis plusieurs années, les habitants de cette ville pauvre assistent à la montée en puissance de l’islamisme, en particulier chez les jeunes.
A Roubaix, l’islam se voit, et cette visibilité nourrit des inquiétudes et des fantasmes. Des librairies coraniques, des magasins de mode aux foulards par dizaines, des boucheries halal en veux-tu en voilà, et six mosquées. Le magazine Valeurs actuelles fait son beurre du décor : déjà deux reportages sur l’un des cent «Molenbeek français». L’expression a été utilisée par le socialiste Patrick Kanner, ministre de la Ville, ancien président du conseil général du Nord et ex-salarié du centre communal d’action sociale de Roubaix. Il n’a cité aucun nom, mais Roubaix s’est senti tout de suite visé, et trahi : «Nous ne réglerons pas les problèmes avec une étiquette supplémentaire» , peste Guillaume Delbar, le maire LR qui a ravi la municipalité au PS lors des dernières élections. Roubaix est déjà la ville la plus pauvre de France, avec 45 % de ses 95 000 habitants sous le seuil de pauvreté, d’après une étude de 2014 du cabinet Compas, spécialisé dans l’observation sociale. Les militants PS se désolent de même, comme Romain Belkacem : «Petite délinquance, pauvreté et radicalisation, tous les ingrédients sont présents, mais évitons les raccourcis devant un micro.»
Barbe longue. La poussée du salafisme, cet islam rigoriste et sunnite, est un fait dans une ville où «40 % de la population est issue d’un pays où la religion musulmane est majoritaire», précise Michel David, ancien directeur général adjoint des services à la mairie de Roubaix. Une minorité religieuse ostentatoire : les femmes flottent dans des jilbab (long voile couvrant le corps) ou, de façon plus rare, portent le niqab, qui ne laisse voir que les yeux ; les hommes ont le pantalon court, la barbe longue, et refusent de serrer la main aux femmes. Ce radicalisme se propage : une assistante sociale du quartier de l’Alma, l’un des plus dévaforisés de la ville, raconte ces séances sur la sexualité, au collège, où la moitié de la classe se retourne et se bouche les oreilles. Les militants politiques et associatifs restent abasourdis devant ces habitants qui leur disent que «voter, ce n’est pas halal ».
«A la mode algérienne». Les Roubaisiens usent de leur arme favorite, le rire, et vannent les salafistes à qui mieux mieux. Sujet du jour, l’imam de Brest, Rachid Abou Houdeyfa, invité pour une conférence à la mosquée Arrahma, qui conseille entre autres de ne pas écouter de la musique par crainte de se transformer en cochon. «Ferme la télé !» s’exclame Mohamed dans sa boutique de téléphones portables du quartier de l’Epeule. Une chaîne musicale y tourne en boucle. Il s’amuse à imiter les grognements d’un porc, devant ses copains rigolards. Avec un fond de tristesse. Car, depuis les attaques terroristes à Paris et Bruxelles, la moquerie ne suffit plus, il le sait bien. «Déjà, dans les années 90, on voyait poindre un islam à la mode algérienne», rappelle Ouassila Lafri, médiatrice sociale et roubaisienne. Les groupes armés qui semaient alors la terreur en Algérie se revendiquaient des Frères musulmans, adeptes d’un islam politique. C’est le début des affaires de voiles dans les lycées. «Puis ça s’est calmé, ou on s’est habitué. Mais depuis cinq ou six ans, on sent le poids des mosquées.» Elle raconte cette jeune stagiaire, qui, du jour au lendemain s’est mise à porter le jilbab, comme ça, juste parce qu’une dame à la mosquée le lui a recommandé. «Pourtant, elle ne prie pas. Le problème est là : que se passe-t-il dans la tête de ces jeunes-là ?» Car Roubaix a vu partir des jeunes en Syrie. «Douze depuis 2013, dont six sont morts», affirme Amine Elbahi, Roubaisien âgé de 20 ans et militant LR. Sa sœur vit avec son bébé dans la banlieue d’Alep, elle est mariée à un combattant de l’Etat islamique. Un matin d’août 2014, elle est allée au marché et n’a pas réapparu. «Recruteur». Personne ne confirme le chiffre. En croisant les conversations, quatre cas au moins émergent. Celui de Sofiane, «petit emmerdeur, voleur de Carambar, qui tourne délinquant», raconte Ouassila. Sofiane est parti à 16 ans, sans avoir jamais mis les pieds à la mosquée, et revenu dans un cercueil. La sœur d’Amine Elbahi s’est radicalisée en un an. «Elle était dans un questionnement identitaire et s’est mise dans le culte, se souvient son frère. Elle priait tous les jours, allait chercher à Menin, à la frontière belge, des livres interdits en France.» C’est après coup qu’il a reconstruit le cheminement de sa sœur. Elle fréquentait la mosquée salafiste Abou Bakr dans le quartier du Pile, mais «son recruteur était le frère de sa meilleure amie», souligne-t-il. Jamal Achahbar, de l’association de prévention spécialisée Horizon 9, n’est pas surpris : «Le recrutement est dispersé et individuel. Il vise des jeunes fragiles, qui se radicalisent plus à cause d’une perte de repères qu’à cause d’une pratique religieuse», explique-t-il. Pour lui, faire l’amalgame entre salafisme et jihadisme est une erreur. C’est aussi ce que pense Michel David : «Ce sont deux combats séparés à mener. Il faut lutter contre le salafisme parce qu’il enferme une communauté à l’écart des autres, mais il ne conduit pas mécaniquement au jihadisme, qui est un processus sectaire .» La riposte reste à construire. Elle nécessite des moyens, qui ne sont pas au rendez-vous.
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