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jeudi, 14 avril 2016

Allemagne-Turquie, un humoriste met le feu aux poudres

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Il y a encore quelques mois, tout paraissait sourire à l’Allemande Angela Merkel et à son homologue turc Recep Tayyip Erdoğan.

La première, avec le consentement tacite de l’Europe en général et de la France en particulier, faisait figure de modèle continental, que ce soit en matière politique ou économique. Puis un leadership de plus en plus voyant, de plus en plus pesant et l’affaire des « réfugiés ».

Pour le second, c’est un peu plus compliqué. Usure du pouvoir, manifestations de la place Taksim réprimées avec tout le discernement d’un autiste flanqué d’un marteau-piqueur, Fethullah Gülen, principale caution religieuse du régime, qui le lâche dans la foulée, politique erratique et double jeu vis-à-vis de Daech : le « néo-sultan » devenait un allié singulièrement encombrant.

Et là, patatras, il aura suffi que la chaîne publique régionale NDR imagine pertinent de diffuser un clip de l’humoriste Jan Böhmermann où est raillé le « Boss du Bosphore » pour que naisse une polémique dont les deux parties en présence se seraient volontiers passées. Pour commencer : récriminations d’usage d’Ankara, défense convenue de la liberté d’expression de Berlin et une Angela Merkel qui, en vacances, ne daigne pas commenter ce qui fait encore figure de non-événement.

Puis, le 31 mars, le même Jan Böhmermann en remet une couche avec une élégance toute teutonne, traitant le président Erdoğan de « pédophile » et « d’enculeur de chèvres ». La chaîne NDR retire ce grand moment d’humour de son site Internet. Trop tard, le mal est fait. Angela Merkel téléphone au Premier ministre turc Ahmet Davutoğlu pour tenter de minimiser l’incident. En vain. Là où tout se complique, c’est que selon le Code pénal allemand, insulter un chef d’État étranger peut être passible d’une peine de trois ans de prison, à condition toutefois que l’État allemand autorise l’État concerné à lancer une procédure pénale, charge ensuite aux autorités judiciaires allemandes de trancher.

De ce côté du Rhin, des chefs d’État tels que le Chilien Augusto Pinochet et l’Iranien Reza Pahlavi avaient pu déclencher pareille procédure dans les années 60 et 70. Et voilà précisément, fort de cette jurisprudence, ce qu’exige aujourd’hui Recep Tayyip Erdoğan, se voulant défenseur de « 78 millions de Turcs offensés », façon pour lui de redorer, en local, un blason objectivement terni.

Du coup, pour Angela Merkel, c’est la quadrature du cercle, surtout en pleine négociation sur le destin de millions de réfugiés dont personne ne sait plus que faire. Ses alliés sociaux-démocrates l’adjurent de rejeter les exigences turques, tandis que les écologistes la somment d’abroger l’article du Code pénal incriminé. Dans le même temps, Guy Verhofstadt, ancien Premier ministre belge, appelle la chancelière à « défendre la liberté de la presse », car c’est aussi un peu de cela qu’il s’agit.

Il est vrai que, depuis quelque temps, cette dernière ne se porte pas au mieux en Turquie. On aurait pourtant bien tort de pavoiser en nos contrées. Certes, les journaux n’y sont pas fermés d’autorité, pas plus que les journalistes ne sont envoyés en prison : le système est autrement plus subtil. Traiter un Recep Tayyip Erdoğan de « pédophile » ou « d’enculeur de chèvres », c’est du Charlie Hebdo, mais tenter d’alerter son lectorat sur le danger d’une immigration de masse, qu’elle soit ou non le fait de réfugiés, c’est être un salaud. Et ça marche. Enfin, de moins en moins…

Nicolas Gauthier

Source : Boulevard Voltaire

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