jeudi, 21 juillet 2016
Où commence et où finit la « sûreté de l’État » ?
Surenchère électoraliste oblige, on entend depuis le 14 juillet et l’attentat qui a terrassé la ville de Nice un déferlement d’inepties sécuritaires. La palme d’or revient sans conteste à Henri Guaino, qui souhaite armer les policiers de lance-roquettes, « une arme légère qui se porte à l’épaule ». Ben oui, et pourquoi pas, aussi, poser des mines autour des lieux de rassemblement ?
Dans ce contexte, les « fichés S » (pour « sûreté de l’État ») sont aussi l’objet de tous les fantasmes. Passons sur le fait que les fiches en question ne concernent pas seulement (loin s’en faut) des personnes en lien ou supposées en lien avec la mouvance islamiste (seulement 10.500 individus sur les 20.000 fichés en France) ; passons également sur le fait que le dénommé Mohamed Lahouaiej Bouhlel n’était pas fiché ; passons enfin sur le fait que des individus entrant dans toutes les cases sont passés à travers les mailles lâches du filet et regardons ce qui, en l’état actuel de notre déconfiture, est faisable ou ne l’est pas.
Nicolas Sarkozy, qui se rêve en « sauveur de la France – le retour », suggère ainsi que les fichés S « qui présentent des risques de radicalisation devraient porter un bracelet électronique, être assignés à résidence ou mis en centre de rétention ». Question : c’est quoi, « présenter des risques de radicalisation » ? Et à quel titre, sur quel fondement juridique, arrêterait-on ces personnes-là ? Mais peut-être M. Sarkozy a-t-il trop rêvé de Minority Report, peut-être se prend-il pour le chef de la « Précrime », ce service qui combat le crime grâce aux extra-lucides qui le prévoient avant qu’il n’arrive ?
Je ne sais pas, vous, mais imaginer que Nicolas Sarkozy revenu à la tête du pays envisage de s’affranchir de l’arsenal juridique existant n’est pas de nature à me rassurer. D’autant que le fichage en question, comme le soulignait Manuel Valls au lendemain des attentats de novembre, concerne, au-delà des apparentés à la mouvance islamiste, « le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), la ligue liée à des mouvements tamouls, la branche militaire du Hezbollah, des militants violents liés à l’ultra-droite ou à l’ultra-gauche, des hooligans, etc. » Ça fait du monde, et éventuellement du monde qui, politiquement, dérange.
Un incident survenu début juin sur l’île de La Réunion donne un aperçu de ce qui pourrait nous arriver. Un vol Corsair en partance pour Paris a été retardé de deux heures après que deux individus en eurent été débarqués. « L’un, ressortissant algérien habitant dans l’ouest de l’île, devait se rendre dans son pays pour raison familiale et le second, originaire du Moyen-Orient, voulait aller en métropole », rapporte Le Figaro. Coïncidence fâcheuse, bien que ces deux personnes n’aient aucun lien entre elles, et bien que leur niveau de signalement dans le fichier S « n’implique pas une interdiction de voyager ou de sortir du territoire », le commandant de bord, seul maître à bord justement, leur a interdit l’accès de son avion. Confirmation d’un avocat spécialiste du droit aérien : le commandant de bord « a tous les droits en matière de débarquement. Étant en charge de la sécurité dans son appareil, il décide de débarquer avant ou pendant le vol les personnes qu’il juge dangereuses selon le principe de précaution. »
Qu’avaient-ils fait ? Pourquoi étaient-ils fichés ? Mystère. Reste la remarque du juriste : « La grande question est désormais de savoir comment le commandant de bord a été tenu au courant de leurs fiches S, et si cela peut constituer un précédent. »
D’aucuns en seront rassurés… ou bien se demanderont si leurs idées assez peu « conformistes » ne risquent pas de leur valoir, un jour, pareille mésaventure.
Marie Delarue
15:47 | Lien permanent | Commentaires (0)
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