Olivier Faye, journaliste au Monde spécialiste de l’extrême droite, a répondu à vos questions dans notre suivi en direct, vendredi 24 juin, de la victoire du « Out » au référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne.
- Question : Le FN n’est-il pas en train de prendre d’énormes risques en citant le Brexit en exemple, avant même de voir les conséquences de ce vote ?
Olivier Faye : La question s’était déjà posée au moment d’un possible « Grexit » (une sortie de la Grèce de l’euro) il y a un an : cette sortie représente-t-elle un saut dans l’inconnu qui risque de décrédibiliser le projet du FN ? Au fil des semaines, les dirigeants du parti avaient plaidé pour une sortie concertée et maîtrisée, car personne ne connaît vraiment les conséquences d’une telle décision. Le Brexit représente le test grandeur nature que le FN attendait pour valider ou non son projet (sortie de l’Union européenne, et a fortiori de l’euro). Marine Le Pen a assuré ce matin qu’il ne fallait pas être impressionné par « l’hystérie des marchés ». Florian Philippot s’est déjà avancé à dire qu’il était « possible » de faire un référendum sur l’UE sans que ce soit « l’apocalypse ». Attendons de voir dans les prochaines semaines, la vérité est que tout le monde avance à tâtons. En tout cas, les propos réitérés de Florian Philippot sur le fait que la France ne serait plus dans l’euro au bout de six mois après une éventuelle victoire de Marine Le Pen en 2017 sont assez mal vécus au sein du parti, où l’on estime que cette prédiction est peu crédible.
- Peut-on imaginer une campagne présidentielle française focalisée sur la sortie de l’UE, sous l’impulsion d’un FN déjà très bien placé dans les sondages ?
O.F. : Depuis que Marine Le Pen est à la tête du Front national, le parti a fait de l’euroscepticisme un de ses principaux arguments de campagne. C’est dans l’air du temps (on le constate en France au moins depuis le non au référendum de 2005) et cela permet « d’attraper » un grand nombre de sujets : l’immigration, l’économie, le gouffre supposé entre le « peuple » et les « élites », etc. Marine Le Pen est naturellement plus intéressée par les questions économiques et sociales que par les sujets identitaires, même si elle ne dédaigne pas ces derniers. Mais la campagne va avant tout se déterminer en fonction de l’actualité : un éventuel attentat focaliserait une fois encore les débats sur la sécurité. En 2015, le FN voulait axer sa campagne des régionales sur les territoires « oubliés » : la crise des migrants a imposé un autre sujet, qui lui était favorable.
Pour résumer, le FN va tenter d’imposer le rejet de l’UE dans la campagne présidentielle, mais il n’est pas certain qu’il parvienne à fixer l’agenda (même s’il se trouve au centre de chaque campagne depuis 2012).
- Est-ce que le FN, s’il est élu en 2017, compte organiser un référendum similaire en France ?
O.F. : Marine Le Pen a annoncé avant les résultats du référendum britannique qu’elle comptait organiser un référendum similaire en France en cas de victoire en 2017. A vrai dire, elle plaide depuis 2013 pour consulter les Français sur l’Union européenne – ou l’euro, sa position a parfois varié. Le référendum organisé en cas de victoire du FN aurait lieu six mois après l’élection présidentielle. Entre-temps, l’éventuel gouvernement frontiste aurait tenté de négocier le retour des « souverainetés » françaises (législative, judiciaire, européenne, etc.) auprès des institutions européennes.
- L’opposition au projet européen est-elle dans L’ADN de la totalité des frontistes ?
O.F. : Officiellement, au Front national, tout le monde défend le principe d’un référendum sur l’Union européenne et le retour de la « souveraineté monétaire » : cet élément de langage qui désigne, en clair, une sortie de la zone euro, a été trouvé en début d’année pour tenter de rassurer sur la volonté du parti de revenir au franc. Mais tout le monde n’est pas d’accord sur les modalités ou sur l’importance à accorder à un tel sujet. Florian Philippot assure que le FN sortira au bout de six mois de l’euro si Marine Le Pen gagne en 2017 ; Marion Maréchal-Le Pen, elle, juge cette prédiction peu crédible et estime que la monnaie unique n’est pas « l’alpha et l’oméga » des problèmes ou des solutions pour la France. Mais le FN dans son ensemble s’est clairement converti à l’euroscepticisme depuis les années 90.
- Quels sont les points de concordance éventuels entre le UKIP et le FN ?
O.F. : Le UKIP (United Kingdom Independence Party) et le FN portent le même objectif – en clair, disloquer l’Union européenne – mais ils ne sont pas alliés : Nigel Farage, leader du UKIP, lui a préféré Debout la France, de Nicolas Dupont-Aignan. Pourtant, le UKIP utilise lui aussi le rejet de l’immigration comme argument massue (il a notamment publié pendant la campagne du Brexit une affiche figurant une colonne de migrants, comme le FN durant la campagne des régionales en 2015) et a fait du rejet des élites un leitmotiv.
A l’étranger, le Front national garde une image sulfureuse, héritée des années de présidence de Jean-Marie Le Pen. « L’antisémitisme est dans l’ADN [du FN] » avait assuré Nigel Farage en 2014 pour justifier son refus d’une alliance avec Marine Le Pen au lendemain des élections européennes, alors même que le Front national envoyait le plus gros contingent de députés français à Strasbourg. Cette « interdiabolisation », comme l’appellent certains au FN, a néanmoins tendance à s’étioler : l’AfD en Allemagne est ainsi tentée par un rapprochement avec le FN, malgré son image dégradée outre-Rhin.
- Le Brexit peut-il être l’occasion d’un regroupement des forces et partis d’extrême droite européens pour promouvoir des référendums dans le plus grand nombre de pays de l’UE ?
O.F. : Le Front national et ses alliés (FPÖ autrichien, Ligue du Nord italienne, PVV néerlandais, etc.) se sont retrouvés à Vienne le 17 juin pour un congrès qui avait des airs de meeting de campagne pro-Brexit. Si le FN et ses partenaires, qui sont regroupés depuis un an dans le groupe Europe des nations et des libertés au Parlement européen, partagent une volonté de revenir à une « Europe des nations », ils ne sont pas forcément d’accord sur les modalités. Le FPÖ ne plaide pas pour un référendum dans son pays : l’Autriche, avec sa petite économie, n’y aurait aucun intérêt. L’AfD, qui n’est pas encore formellement l’allié du FN, n’a pas non plus fait état d’une telle volonté (contrairement au PVV, qui l’a dit clairement, ou à la Ligue du Nord, qui l’a laissé entendre). Mais le Brexit apporte clairement du poids au souhait de Marine Le Pen de voir des référendums être organisés dans tous les Etats de l’UE.
- Dans quelle mesure l’extrême droite européenne va-t-elle bénéficier du « Brexit » à court terme (je pense évidement aux élections de 2017) ? Le divorce du Royaume-Uni de Bruxelles n’est-il pas du pain béni pour le parti de Marine Le Pen et ses alliés ?
O.F. : Le « Brexit » va à l’évidence dans le sens des idées portées par le Front national (FN) et par ses alliés, qui assurent travailler à un retour d’une « Europe des nations », réduite à des coopérations interétatiques. La victoire du « Leave » participe de la vague conservatrice, voire identitaire, que le FN porte, au même titre que le FPÖ en Autriche ou l’AfD en Allemagne. Dans le même temps, cela renforce la dichotomie établie par le FN entre d’un côté le recours à la « vraie » démocratie – le peuple consulté par référendum – et une Union européenne prétendument « totalitaire », comme dit Marine Le Pen, peuplée de technocrates qui travailleraient à l’encontre des « intérêts vitaux » des peuples. Tout ce qui va contre l’UE – ou est perçu comme tel, avec par exemple la victoire du Mouvement 5 étoiles à Rome et à Turin – est utilisé par le FN en vue de l’élection présidentielle de 2017.
Olivier Faye