Dimanche, lors des élections législatives en Espagne, Unidos Podemos, coalition populiste formée par Podemos, Izquierda Unida, héritier du Parti communiste, et des formations régionalistes de gauche, pourrait bien devenir la deuxième force politique du pays devant le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Un coup de tonnerre ? Pas vraiment.
Ces derniers temps, un vent de contestation générale souffle sur l'Europe, et même au-delà. Dans la tempête, les partis traditionnels vacillent, accusés par les électeurs de ne pas apporter de solutions aux difficultés économiques, au chômage, aux questions d'immigration...
Partout en Europe, et même aux États-unis !
Ainsi, le Mouvement populiste 5 étoiles a été le grand vainqueur des élections municipales organisées le week-end dernier en Italie. L'an dernier, Syriza avait été le premier de ces partis s'exprimant au nom du peuple à prendre le pouvoir en Grèce, pour un bilan toutefois mitigé.
Ailleurs, chaque pays, ou presque, possède son parti anti-système, tantôt d'extrême droite, tantôt d'extrême gauche, voire ni de droite ni de gauche. Citons pêle-mêle le FPÖ en Autriche, le Parti des libertés aux Pays-Bas, le parti du peuple (Danemark), Pegida (Allemagne), le parti d'Orban (Hongrie) ou encore l'UDC (Suisse)... Aux États-Unis, la candidature de Donald Trump participe au même phénomène.
"Tous ces partis populistes, quelle que soit leur orientation politique, ont certaines caractéristiques communes", remarque Olivier Costa, directeur de recherche au CNRS et pour Science Po Bordeaux.
"Un, ils se réclament du peuple, parlent au nom du peuple. Deux, ils ont une tendance à flatter, non pas les bas instincts de la population, mais en tout cas à être dans un registre émotionnel. C'est le registre de la peur pour l'extrême droite, en parlant de l'immigration, des frontières qui sont des passoires, du terrorisme, etc. A gauche, on fait appel à un sentiment plutôt de l'ordre de la révolte, en disant qu'il faut arrêter avec les nantis qui accaparent le pouvoir, les efforts demandés uniquement aux petites gens… Enfin, le rejet de la mondialisation et de l'intégration européenne est aussi très fort."
Comment expliquer cette percée populiste ?
Selon Olivier Costa, l'émergence de ces mouvements populistes est logiquement liée au contexte économique et social des pays où il se développent. En Grèce, en Italie et en Espagne, où ces partis ont connu des succès électoraux, la genèse trouve ses racines dans la crise financière de 2009 et ses conséquences.
"Dans ces trois pays, les effets de la crise de 2008-2009 ont été beaucoup plus forts qu'en France, explique-t-il. Surtout, la cure d'austérité a été sans commune mesure avec ce qu'a connu la France, où il n'y en a quasiment pas eu".
"Ce sont aussi des pays où il y a eu un effondrement des partis classiques, qui étaient souvent empêtrés dans des problématiques de corruption, de népotisme…, ajoute-t-il. Il y a eu une défiance extrêmement forte des citoyens vis-à-vis de ces partis. Et finalement, le lien s'est opéré entre ces deux phénomènes. Les gens se sont dit que c'est parce leurs partis sont incompétents, ne se renouvellent pas, qu'ils n'ont pas été capables de régler cette crise".
Dans l'ensemble des pays occidentaux concernés, ce contexte morose a favorisé la montée d'une "espèce d'angoisse généralisée" et d'une vague de pessimisme, constituant un terreau favorable au développement d'alternatives inédites.
"Les gens ont le sentiment que l'avenir est noir et que les vieilles recettes des partis établis ne fonctionnent pas, constate Olivier Costa. De ce fait, beaucoup ont la tentation de s'en remettre à des nouveaux venus sur la scène politique qui proposent de nouvelles solutions. Les ficelles sont souvent un peu grosses mais d'une certaine manière, les gens s'en fichent. Il y a ceux qui croient à ce que proposent ces nouveaux venus en se disant que ça n'a pas été essayé, et ceux qui sont dans une logique protestataire, de ras-le-bol par rapport aux partis établis. Aussi, ce succès est dû au fait que les partis traditionnels n'arrivent pas à proposer une alternative".
En France, le créneau du populisme est déjà occupé
En France, malgré quelques frémissements ces dernières années, aucun mouvement populiste comparable n'a réussi à s'imposer dans un paysage politique verrouillé et déjà quelque peu saturé.
"Il y a eu des initiatives pour fédérer un mécontentement par rapport aux partis classiques, avec Attac, le DAL, les indignés, Nouvelle donne, Nous citoyens voire même les zadistes et Nuit debout... Mais ces mouvements n'arrivent pas à se structurer", note le politologue.
Si ces initiatives peinent à faire leur trou, c'est parce que le champ du populisme est déjà largement occupé sur ses deux flancs. "Le Front national d'un côté et une multitude de partis d'extrême gauche de l'autre (Lutte Ouvrière, LCR, NPA, Front de gauche...) drainent une partie importante du vote protestataire en France", précise Olivier Costa.
"Il faut aussi prendre en considération le fait que l'on a en France un mode de scrutin, notamment pour les législatives, qui n'est pas du tout favorable aux petits partis. Pour créer une dynamique, il faut engendrer des succès électoraux, on l'a vu avec le FN. Aussi, ces petits partis ont peu accès aux médias. On en parle une fois, on fait un reportage parce qu'ils sont rigolos mais ils n'ont pas vraiment voix au chapitre..."
Vers des "surprises" en 2017 ?
A cela s'ajoutent les profondes divisions au sein de la gauche radicale, avec des partis qui "ne parviennent pas à s'entendre" et finissent par "faire 2% chacun", ce qui ne permet pas "l'émergence d'une figure ou d'un mouvement", et le refus culturel, chez les syndicats, de voir leurs revendications récupérées par les partis.
Enfin, l'absence ces dernières années en France d'une vraie politique d'austérité susceptible de générer un conflit socio-économique majeur, exception faite de l'actuel débat concernant la Loi travail, n'a pas non plus permis de "mobiliser les antis".
En conséquence, les élections présidentielles et législatives prévues l'an prochain ne devraient pas marquer une rupture aussi radicale que celle observée chez nos voisins européens. Toutefois, la "configuration actuelle pourrait avoir un effet déstabilisateur très fort, à droite comme à gauche", prévient Olivier Costa.
"Le FN a une capacité de nuisance considérable à droite, d'où la droitisation des discours chez certains candidats des Républicains, dit-il. A gauche, on voit qu'il y a un phénomène similaire puisqu'on constate dans certains sondages que Mélenchon serait à un niveau comparable à celui de François Hollande. On peut avoir des surprises pour la présidentielle". Si c'est le cas, pourra-t-on vraiment parler d'une "surprise" ?