L’islamophobie est un phénomène profondément ancré dans la société, qui doit être combattu en établissant un contact entre les Allemands et les immigrés, selon la sociologue Daniela Krause.
Daniela Krause est une sociologue de l’Institut de recherches interdisciplinaires sur les conflits et la violence de Bielefeld. En prévision des élections régionales à Berlin et au Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, elle a analysé deux recherches de l’Institut, pour lesquelles près de 25 000 personnes ont été interrogés sur leur vision des musulmans entre 2003 et 2014.
À l’approche des élections, que pense la population des deux régions étudiées des musulmans ?
À Berlin, sans surprise, l’islamophobie est en moyenne moins forte que dans les anciens et les nouveaux länder. C’est dû à l’hétérogénéité de la capitale. Il est cependant notable que le ressentiment envers les musulmans n’y a pas reculé sur la période étudiée, contrairement à la tendance nationale. Il y a deux ans, un Berlinois sur trois ne se sentait pas chez lui « en raison du nombre de musulmans ». 25 % des interrogés estimaient que l’Allemagne devrait interdire leur immigration, soit le chiffre le plus élevé depuis le début de l’étude. Il n’est cependant pas possible d’en donner les causes sans études supplémentaires.
Dans la région du Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, près d’un tiers des interrogés ont indiqué ne pas se sentir chez eux à cause des musulmans en 2014. Autant d’interrogés ont jugé que les musulmans ne devraient pas avoir le droit de venir dans le pays, un chiffre nettement plus important qu’à Berlin. Toutefois, les jeunes entre 16 et 30 ans sont en moyenne moins hostiles aux musulmans que le même groupe interrogé dans d’autres régions. En revanche, les personnes âgées ont en moyenne plus de préjugés.
Il est étonnant qu’à l’échelle nationale, les femmes sont en moyenne plus hostiles aux musulmans que les hommes, en particulier dans les capitales des Länder.
Les femmes ont souvent davantage peur. Il s’agit de la peur des hommes étrangers, souvent latente et en partie reliée à la crainte que l’inconnu puisse être imprévisible et menaçant. En réalité, il s’agit de cette vieille peur profondément ancrée de « l’homme noir ». Qu’il s’agisse d’un musulman ou simplement d’un homme qui a visiblement une autre culture ne change souvent rien. Islamophobie et xénophobie vont indubitablement de pair dans ce cas.
Quelles sont les chances des partis islamophobes aux élections dans les deux länder ?
Les résultats de l’AfD lors des élections et des sondages montrent que les préjugés et les ressentiments envers les musulmans augmentent. Bien que les résultats entre les länder soient différents, le populisme d’extrême droite connaît un potentiel important auprès d’au moins 20 % de la population. Les préjugés et l’islamophobie sont présents partout, certains ne l’affichent simplement pas aussi publiquement que d’autres. Plus le niveau d’études est élevé, plus les personnes ont tendance à garder leur avis pour elles. Les préjugés sont malgré tout visibles. Dans le train, par exemple, il possible de mesurer à quelle distance une personne s’assoit de son voisin, s’il a l’air d’être un migrant. S’il a une apparence étrangère, la majorité des gens vont effectivement s’éloigner un peu.
Début 2014, le Conseil européen a exprimé son « inquiétude » au sujet de la façon dont les minorités été traitées en Allemagne. Le racisme serait trop fréquent dans les enquêtes et les sanctions.Voyez-vous des faiblesses dans le domaine politique ?
Les policiers, les juristes et les autorités locales sont aussi susceptibles d’avoir des préjugés que n’importe qui d’autre. L’ONU avait déjà dénoncé la discrimination et les inégalités en Allemagne. Il est essentiel que nous ne considérions pas l’islamophobie comme un phénomène à part.
La plupart des islamophobes dénigrent également les homosexuels ou les handicapés. C’est pourquoi il faut absolument mettre en place un système éducatif qui s’opposerait aux structures favorisant toute forme d’hostilité. L’idée d’infériorité des personnes différentes est un phénomène qui prend racine déjà à la maternelle et dans notre environnement familier. Ce sont rarement des idéologies, c’est bien plus subtil.
L’islamophobie correspond certainement plus aux projections de nos propres peurs sur les autres. Comment une société démocratique peut-elle combattre ces préjugés ?
La société, mais aussi la politique, devraient suivre l’hypothèse du contact, selon laquelle les préjugés disparaissent quand des personnes d’origines et de confessions différentes ont un contact qui dépasse le simple service. Rencontrer quotidiennement le fleuriste, la femme de ménage ou le boulanger immigrés ne suffit pas. Il faut qu’il y ait des tâches communes, un échange sur un projet commun, dans les écoles par exemple.
Il ne faut cependant pas oublier les citoyens plus âgés. Ce sont souvent leurs positions qui posent problème. Il est important d’envoyer des signaux politiques et de veiller à ce que les musulmans et les immigrés ne se retrouvent pas cantonnés aux métiers subalternes.
Dans les sondages pour les prochaines élections régionales, l’AfD comptabiliserait 19 % des voix du Mecklembourg-Poméranie-Occidentale et 15 % à Berlin. L’islamophobie semble s’être implantée au cœur de notre société et être de plus en plus acceptée dans les partis. Pourquoi ?
Je ne dirais pas que c’est une tendance. Les études montrent que, jusqu’en 2014, l’islamophobie a reculé à l’échelle nationale. Seule Berlin est une exception surprenante. Or, il est important de garder en tête que les préjugés et la stigmatisation de personnes d’origine et de confession différentes sont très anciens dans notre société. L’islamophobie est en effet reliée à des stéréotypes vieux de plusieurs siècles.
Traduit par: Céline Nguyen