Le rituel des mariages collectifs de la communauté layène dure depuis des lustres et reste toujours impressionnant. En ce samedi après-midi, dans la grande enceinte de ‘’Diamalaye’’, il y a foule. Chaussures à la main et majoritairement habillées en blanc, des femmes marchent, pieds nus sur le sable fin et très clair du lieu saint. Sous les tentes érigées sur le site sablonneux, elles sont massées d’un côté. Certainement pas dérangées par la brise marine. En fond sonore, des chansons louant la famille layène. Un peu partout autour d’elles, les hommes grouillent. Ils sont surtout visibles devant, autour de groupes formés sous des bâches. Chaque section est dirigée par un imam (pas seulement de Yoff) qui, copie ‘’d’attestation de mariage de la mosquée de Yoff’’ en mains, scelle des liens conjugaux, en la présence des représentants des mariés.
Là, deux hommes surgissent et se saluent de la même façon : ‘’Laye, Laye ! Laye Makhtar !’’. 16 heures viennent à peine de sonner. Les fidèles n’ont pas encore sacrifié à la prière de Takusaan (après-midi). En effet, sous nos cieux, c’est après cet office qu’on a l’habitude de célébrer les unions bénies par l’Islam. Alassane Mbengue, barbe grisonnante, vient de Déni Biram Ndao pour donner la main de sa fille de 29 ans. Accompagné de son frère cadet, il est assis à côté de tant d’autres délégations. Elles patientent derrière un religieux qui prie pour une nouvelle union qui vient d’être scellée. Sous les paumes approbatrices des proches du nouveau couple. Et les prières sont ponctuées par des ‘’amen’’. Lui et son futur beau-fils sont de la confrérie ‘’tidiane’’, tandis que sa fille est membre d’un dahira (association) layène. Elle avait émis le vœu d’être mariée ce jour, sur ce lieu, souligne son oncle paternel imberbe, Alassane Mbengue.
’’Somme maximale de 10 000 francs’’
Tout près, Mamadou Niang n’est pas réticent à dévoiler son nom. ‘’Comme c’est le service religieux qui motive notre déplacement, rien de mal’’, sourit le bonhomme. Venu de Tivaouane Peul, il accompagne des parents qui sont venus demander la main d’une fille pour son petit frère de 24 ans. ‘’La somme maximale de 10 000 francs couvre la dot de la mariée qui est de 5000 francs. Et le reste va à la caisse de la mosquée, entre autres, frais’’, souffle un homme au teint noir et au visage adipeux. Boubacar Sow, membre de l’organisation de cette cérémonie, confirme ladite somme destinée à la nouvelle épouse. Il tient une liasse de copies de certificat de mariage et demande à haute voix celui qui veut s’inscrire. Avant le début de la ziarra prévue dans la soirée, il informe que tout le monde saura le nombre de mariages qui ont été scellés aujourd’hui à ‘’Diamalaye’’.
Les activités se poursuivent dans l’enceinte, sous le regard bienveillant et inerte de certains membres de cette famille religieuse, à travers leurs photos commercialisées. Vendeurs de chapelets par-ci et de bonnets immaculés par-là. L’artiste comédien de la troupe Daaray Kocc, Mandione Laye Sarr, est lui aussi parmi l’assistance. Il est humblement assis à même le sol, égrenant son chapelet. Tout de blanc vêtu, le déplacement du disciple layène, de Cambérène à Yoff, est plus motivé par la ziarra. ‘’Cette année, je n’ai pas d’union à célébrer’’, indique-t-il avec un sourire. Non sans préciser que ce genre de cérémonie est une tradition chez les Layènes.
C’est en 1883 que Seydina Limamou Laye débuta ce rite religieux, indique l’imam de la mosquée de Yoff Layène, Ousmane Sylla. Ce dernier vient de sceller le douzième mariage, à quelques encablures de 17 heures. Il a commencé juste après la prière de midi (Tisbar) afin de gagner du temps, en prélude à la soirée religieuse, explique-t-il. Chaque localité affiliée confrériquement à cette communauté (Malika, Ouakam, Ngor, Cambérène…) vient, à travers les habitants souhaitant se marier de cette manière, accompagnée d’un imam qui scelle leurs unions, ajoute l’imam Sylla.
Longévité conjugale
Le mariage ayant de plus en plus tendance à faire long feu dans notre pays, les liens unis à ‘’Diamalaye’’, dit-on, ont la particularité d’être le plus souvent pérennes. Se retournant, Ousmane Sylla donne l’exemple du vieux Ngagne Samba Ndoye qui vient de faire plus d’une trentaine d’années de mariage avec sa femme qu’il a épousée alors qu’elle était bébé. ‘’J’avais donné la dot à l’époque, dès sa naissance. Et quand elle est devenue mature, elle a affirmé son amour, avant de rejoindre le domicile conjugal’’, se rappelle l’ancien contrôleur de la Sotrac qui déclare avoir donné la main d’une de ses filles, aujourd’hui.
‘’Il faut que la fille soit d’abord consentante et amoureuse. Au cas contraire, on casse le mariage qui a été ficelé dès l’enfance. Cette tradition nous a été léguée par Seydina Limamou Laye. Et elle vise à lutter contre certaines dérives du célibat’’, souligne l’imam Ousmane Sylla, indiquant que beaucoup de jeunes présents aujourd’hui sur ce site sont nés de ces unions collectives. Concernant la faible dot, elle vise à ne pas trop charger le mari. ‘’Car le prophète (PSL) a dit que le mariage qui reçoit la dot la plus faible est plus valeureux’’, rapporte l’imam. Qui estime que l’époux est cependant ‘’libre de donner à la mariée tout ce qu’il souhaite, au-delà de ce prix qui légalise le mariage’’.
A 17 heures passées, les chanteurs religieux se trouvent obligés d’écourter leurs psalmodies. Quelqu’un demande aux gens de se mettre en rangées pour procéder à la prière de Takusaan. Certains l’ont déjà fait dans la mosquée contiguë à la muraille de Diamalaye ou quelque part, à même le sol, dans l’enceinte. Les mariages sont finis pour l’instant. La communication du nombre scellé se fera plus tard. Au même moment, des cohortes de talibés venus spécialement pour la ziarra croisent à la porte des hommes qui repartent satisfaits d’avoir assisté au mariage des leurs. L’un d’eux, accroché dans la rue, déclare aller de ce pas à Cambérène, chez un ami nouvellement marié, pour assister aux festivités organisées au domicile familial.