Vous avez répondu aux correspondants du Salon beige : "l’interdiction de la burqa aurait mécaniquement pour conséquence l’interdiction pour les Chrétiens et les Juifs de leur propres signes religieux."
C’est une opinion assez répandue, mais qui se fonde sur une information insuffisante. En effet, ce n’est pas – fort sagement – la burqa qui est interdite, mais tout vêtement ou dispositif masquant le visage dans l’espace public, pour des raisons de sécurité.
Et il n’était pas nécessaire de prendre une loi spécifique pour interdire ainsi non seulement la burqa (particulièrement dangereuse parce qu’elle masque non seulement le visage, empêchant qu’on reconnaisse une personne qui commet un acte délictueux ou criminel, mais le corps, permettant à un homme de se faire passer pour une femme et à toute personne de dissimuler soit le produit de vols, soit des armes, des explosifs, etc. et autres matériels permettant de commettre un braquage ou un attentat) mais le casque de moto, le masque de carnaval ou le masque chirurgical, la cagoule ou le passe-montagne.
En effet, en France, toute loi qui n’a pas été expressément abrogée par une loi postérieure est toujours en vigueur. C’est ce qui a permis, bien avant que le français ait été imposé comme « langue de la République » dans notre Constitution, d’imposer l’usage du français dans tous les actes publics, en dépit des revendications notamment bretonnes, en se fondant sur l’article 111 de l’Ordonnance donnée en août 1539 par François Ier à Villers-Cotterêts, article qui, effectivement, n’avait jamais été abrogé et ne l’est toujours pas. Le dernier arrêt du Conseil d’État invoquant cet article date, si ma mémoire est bonne, de 1985.
Or, les raisons de sécurité invoquées pour interdire le port de tout dispositif masquant le visage dans l’espace public avaient déjà, dès le 3 mars 1400, conduit le gouvernement de Charles VI à interdire de circuler « les visages embrunchez, cachés par un capuchon ou une cagoule » (Impr. Ordonnances des rois de France…, collection in-fol., t. VIII, p. 364). Cette ordonnance n’a jamais été expressément révoquée et peut donc être invoquée comme étant toujours en vigueur. Il est vrai qu’elle n’a guère été respectée, ce qui a conduit, le 9 mai 1539 (quelques semaines avant l’ordonnance de Villers-Cotterêts), le roi François Ier à interdire à nouveau « à toutes personnes, de quelque estat, qualité et condition qu’ilz soient, de ne aller par villes, citez, forestz, boys, bourgs et chemins de nostre royaume … armez de harnoys secrectz ou apparens, seulz ny en compaignie, masquez ne desguisez » (Impr. Ordonnances des rois de France. Règne de François Ier, t. IX, p. 404-407, n° 915.). Toujours en vigueur elle aussi, faute d’avoir été expressément révoquée, elle n’a sans doute guère été respectée puisque François II l’a renouvelée en 1560.
Interprétée comme visant expressément la burqa (et c’était certainement l’intention du législateur !), la loi interdisant de dissimuler son visage dans l’espace public est certes quotidiennement violée. Elle n’en est pas moins à la fois inutile (puisque les dispositions légales qu’elle contient existaient déjà) et nécessaire."
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