Le choc migratoire ébranle, aujourd'hui, toute l'Union européenne. Il menace la cohésion de nos sociétés et s'invite partout au coeur du débat politique. Le Japon, lui, s'en tient au principe de l'immigration zéro, ou presque.
Les chiffres sont éloquents. Il n'y a que 2 % de résidents étrangers dans la population du Japon, y compris les clandestins (contre presque 10 % en France). Le pays accorde environ 14 000 naturalisations par an, dix fois moins que chez nous ; être né au Japon ou s'y marier n'y donne aucun droit. Quant aux demandes d'asile, il n'en a accepté que 11 (!) en première instance en 2014, contre presque 18 000 chez nous.
Peu nombreux, les immigrés sont aussi peu visibles : plus de 80 % sont des Asiatiques (surtout Chinois, Coréens et Vietnamiens) ou des Sud-Américains de sang japonais, qui ne tranchent pas par rapport au reste de la population. Le problème de la religion et des modes de vie associés ne se pose pas, car les pays musulmans fournissent à peine 3 % des immigrés (0,06 % de la population).
L'immigration est un tabou absolu. La raison majeure est que les Japonais - même si l'histoire le dément - adorent se voir comme une race unique, présente sur l'archipel depuis l'origine des temps, et jamais mélangée. Dire ici que la France est « une nation de race blanche » est devenu politiquement incorrect. Les Japonais, eux, considèrent fièrement leur pays comme celui de la race japonaise, et d'elle seule. Ils y voient une force précieuse pour leur communauté. Dans ce contexte, pas un politicien ni un journal n'ose prôner la libéralisation.Scandale des « stagiaires »...Pourtant, le Japon en a besoin. La natalité est en panne, la population diminue et vieillit massivement. Cela ne présage rien de bon, ni pour l'économie ni pour le dynamisme national. Le pays manque de bras. Le chômage est au plus bas (3,5 %). Il faudrait 300 000 travailleurs de plus dans les services à la personne, 200 000 pour les chantiers des Jeux olympiques de 2020, et les clandestins sont indispensables à de nombreux secteurs de l'économie.
Pour Tokyo, la solution rêvée est de ne laisser entrer que des quotas de travailleurs sélectionnés en fonction des besoins de l'économie, avec des contrats à durée déterminée qui ne leur permettent ni de faire venir leur famille ni de rester en fin de contrat.
Sous couvert d'aide au développement, le Japon accueille ainsi, chaque année, 90 000 « stagiaires en formation », avec des CDD de trois ans. Pour être sélectionnés, ceux-ci s'endettent dans leur pays auprès de recruteurs spécialisés. Cette dette les livre sans défense aux employeurs qui en sont friands et les achètent littéralement à l'administration, à coups de pots-de-vin. Travaux durs et non qualifiés, horaires écrasants, paye de misère... Les moins dociles sont expulsés à la fin de la première année.
L'immigration choisie n'est pas condamnable dans son principe, mais encore faut-il qu'elle ne dégénère pas en esclavage moderne. Le sort des « stagiaires » commence à faire scandale... C'est pourtant ce modèle que le Japon entend développer, en doublant le nombre des contrats et en portant leur durée à cinq ans.
Quant à l'accueil des réfugiés, il peut arguer qu'il n'est pour rien dans les conflits qui provoquent les migrations massives que l'on sait. Toutefois, aux yeux du monde, pourra-t-il toujours se dérober ? La question, en tout cas, n'émeut pas encore les Japonais.
Jean-Marie Bouissou, directeur de recherche à Sciences Po.