Un tag raciste contre un centre culturel polonais de Londres. Des tracts contre la "vermine polonaise" distribués à des écoliers dans une petit ville du Cambridgeshire. Une journaliste de la BBC qui subit une injure raciste en direct. Un autre, en duplex dans les rues de Barnsley, qui raconte avoir entendu trois personnes crier "renvoyez-les chez eux" en cinq minutes.
"Nous ne tolérerons pas ces crimes de haine", a lancé le Premier ministre britannique David Cameron lundi 27 juin au Parlement. Car les exemples sont nombreux. Comme si la campagne sur le Brexit, qui s'est soldée par par la victoire du camp du "out" le 23 juin et a été en bonne partie centrée sur l'immigration, avait ouvert la boîte de Pandore.
Les chiffres en témoignent. Entre jeudi (jour du référendum) et dimanche, le nombre d'incidents racistes déclarés a augmenté de 57% par rapport à la même période quatre semaines plus tôt, selon le National Police Chiefs' Council, organisation de chefs de la police britannique.
Ces incidents recouvrent les agressions verbales, physiques, le harcèlement et les dégradations.
Les travailleurs européens ciblés
Au centre culturel polonais de Hammersmith, un quartier de l'est de Londres, le tag raciste a été découvert sur la porte d'entrée dimanche. Ses membres disent leur surprise et leur colère. "Nous sommes très inquiets et bouleversés", a ainsi déclaré Joanna Mludzinska, la présidente de l'association culturelle polonaise à la BBC.
La communauté polonaise, visée aussi par les tracts anonymes sur la "vermine" distribués à Huntingdon, dans le Cambridgeshire, compte 790.000 membres au Royaume-Uni. Il s'agit de la plus grosse communauté de citoyens de l'UE installés au Royaume-Uni (ils sont trois millions).
Durant la campagne référendaire, ces travailleurs européens profitant de la libre-circulation pour s'installer sur l'île et bénéficier de ses emplois et de son système de santé ont été régulièrement brandis comme un argument anti-UE, notamment par les tabloïds. Un argument répété à tel point dans le camp du "Leave" (pour la sortie) que dans de nombreux incidents signalés, le Brexit est interprété comme un "renvoi" dans leur pays des citoyens de l'UE installés au Royaume-Uni.
C'est ce que montrent les témoignages recueillis par les médias britanniques auprès d'individus qui racontent s'être fait interpeller dans le bus, dans la rue ou au supermarché, par des personnes leur demandant de "faire leurs bagages".La conservatrice Sayeeda Warsi, une membre conservatrice de la chambre des Lords, raconte ainsi à Sky News :
"J'ai passé une bonne partie du weekend à discuter avec des organisations, des individus ou des activistes qui travaillent sur les crimes de haine [...]. Ils ont montré des résultats très dérangeants, de la part de personnes qui se font arrêter dans la rue et à qui l'ont dit : écoutez, j'ai voté 'Leave', il est temps pour vous de partir."
"L'ambiance dans les rues n'est pas bonne", assure-t-elle.
Sur Twitter aussi, de nombreux actes de xénophobie ont été rapportés, parfois avec le hashtag #PostRefRacism, ou racisme post-référendum. "Ce weekend, ma famille et moi ont assisté à trois 'quand est-ce que vous rentrez chez vous ?'. Des incidents racistes visent les citoyens de l'UE", témoigne par exemple un journaliste de Sky News sur le réseau social :
Des attaques islamophobesLes travailleurs européens ne sont pas les seules victimes de la libération de la parole raciste au Royaume-Uni.
Tell Mama, une association de surveillance du racisme, a compilé les incidents survenus depuis le référendum du 23 juin. Dans plusieurs villes du pays, on rapporte des agressions islamophobes. Le lien avec le référendum est clair. "Le 25 juin 20016, une femme musulmane s’est fait crier 'Brexit' au visage - Londres", peut-on ainsi lire sur ce tableau qui compile certaines des agressions.
Incidents racistes recensés par Tell Mama
La police en état d'alerte
Au Parlement, lundi, de nombreux députés ont dénoncé cette multiplication des agressions xénophobes. Le leader du parti Travailliste, Jeremy Corbyn :
"Il existe une véritable inquiétude à propos de l'immigration. Mais durant la campagne une trop grande partie de la discussion a été rude et a semé la division."
Le Premier ministre du Pays de Galles, Carwyn Jones, parle même d'une "sale atmosphère". On se souvient de l'affiche de campagne des europhobes de Ukip, le parti de Nigel Farage, sur lequel il était écrit "POINT DE RUPTURE" en lettres majuscules rouges sur une photo représentant des migrants en route. Le poster a été signalé à la police pour incitation à la haine raciale et comparé à une image de propagande nazie.
La police de Londres est en état d'alerte, a prévenu le maire de Londres, Sadiq Kahn. Lui dit "[prendre] au sérieux [sa] responsabilité, qui est edéfendre le formidable mélange de diversité et de tolérance londonien".
Au centre culturel polonais de Hammersmith, le tag a été effacé et les messages de soutien se multiplient. Joanna Ciechanowska, qui vit au Royaume-Uni depuis 35 ans et dirige une galerie dans le centre, a exprimé sa stupeur à plusieurs médias. Au "Guardian", elle raconte : "C’est triste, parce que je vis ici depuis plusieurs années et je n’ai jamais vraiment été confrontée au racisme dans ce pays, c’est la première fois que cela m’arrive en plein visage." Elzbieta Pagór, libraire au centre culturel : "Avec ce référendum, les gens ont simplement explosé."
Agathe Ranc