Pour Isabelle Kersimon, la défense aveugle de BalckM est révélatrice d'une vision essentialiste de l'individu. Sous couvert d'antiracisme, une certaine gauche entérine la vision racialiste des «Indigènes de la République».
L'épisode pathétique de la programmation de BlackM à Verdun aura entre autres révélé l'effondrement des principes républicains dans l'imaginaire de l'antiracisme représenté par ceux qui se sont exprimés sur le sujet.
On aura pu constater que, pour l'élu municipal socialiste de la préfecture de la Meuse, les qualificatifs de «youpins», «pédés» et «kouffars» (Europe 1, 12 mai) sont entrés dans le nouveau dictionnaire d'une France que les autorités pensaient agonisante, mais dont le soulèvement populaire a rappelé les hautes valeurs, la principale étant nommée décence, n'en déplaise aux crieurs de morale et au Front national à qui ces mêmes crieurs ont attribué la paternité de cette indignation. Peut-être Samuel Hazard a-t-il reçu des mails injurieux, racistes, des mails qui ressemblent à ces insultes et à ces menaces délétères qui font le quotidien des réseaux sociaux. Il s'en relèvera et nul ne l'empêchera de porter plainte pour incitation à la haine lorsque le délit sera manifeste.
On aura assisté, consterné, à des procès iniques en extrême droitisme, souillant la mémoire des morts et le souvenir des familles, tandis que l'annulation de l'événement résulte non pas de l'action «de hordes de nazis négrophobes emmenés par le FN», mais du retrait d'une subvention accordée initialement et de la plainte déposée par la famille d'un ancien combattant. On aura au passage remarqué que la responsabilité de cette initiative festive n'a été assumée par personne.
On aura observé que les accusations orwelliennes en racisme, en fascisme, en totalitarisme, proférées à l'encontre de tous ceux que l'idée de danser sur les ossuaires révulsait, aura peut-être jeté dans les bras du Front national des Français excédés qui avaient salué la cantatrice, également noire, Jessye Norman lors du Bicentenaire de la Révolution.
On aura constaté que, si tout homme peut accéder au repentir, voire à la rédemption, M. Diallo, alias BlackM, ne s'est jamais désolidarisé ni des propos contenus à foison et récurrents, loin de simples «dérapages», dans les chansons de Sexion d'Assaut, ni des membres dudit groupe, puisqu'il part en tournée avec le dénommé Lefa cet été. Il n'a pas renoncé aux droits d'auteur. Il n'a pas investi ses gains dans des luttes contre ces discours de haine en réalité construits (le pouvoir aux juifs intouchables, la décadence morale des non-croyants, le viol comme conséquence logique de la colonisation et des moeurs des jeunes filles). En 2014, il écrit un rap intitulé «Jemaa El Fna» au refrain suivant: «Sous-estimer le Black, ne fais plus jamais ça / Sinon j'te fais payer le triple comme à Jemaa El Fna». Jemaa El Fna est une célèbre place publique de Marrakech. C'est là que, le 28 avril 2011, un attentat djihadiste à la bombe, perpétré dans un café réputé fréquenté par des «chrétiens», coûta la vie à 17 personnes, dont 8 Français.
On aura observé qu'avoir un devancier mort pour la France - traumatisme largement partagé - serait une condition nécessaire et suffisante pour être républicain et fréquentable. Rappelons que Serge Ayoub, autrement nommé Batskin, chef du groupuscule fasciste auto-dissous Troisième Voie et d'origine libanaise, a sans doute aussi, si l'on en croit le site gouvernemental recensant les victimes militaires du conflit, au moins un ancêtre tombé au champ d'honneur. Cela l'autorise-t-il?
On aura compris que, dorénavant, si l'on est agressé parce que l'on est noir, on peut aussi être louangé et défendu pour cette seule même raison, quoi que l'on profère. Ainsi, nombre internautes se sont-ils hâtés de visiter la page Facebook de Christiane Taubira, qui n'a plus aucune responsabilité nationale et donc, logiquement, pas grand-chose à annoncer officiellement sur ce sujet. Pourquoi cet afflux, sinon parce que, outre son talent pour la versification lourdingue, elle aussi est noire?
Jean de La Fontaine écrivait, dans «Les Animaux malades de la Peste»: «Selon que vous serez puissant ou misérable / Les jugements de cour vous rendront blancs ou noirs.». Nos autorités politiques et de nombreux confrères l'auront quant à eux inversé, entérinant la vision racialiste des «Indigènes de la République» et de ses meilleurs ennemis identitaires: «Selon que vous serez blanc ou noir / Les jugements de cour vous rendront coupable ou fréquentable.»
Isabelle Kersimon
Isabelle Kersimon est journaliste. Elle est l'auteur de, Islamophobie: la contre-enquête (Plein Jour, 288p, 19€, octobre 2014).
Source : Le Figaro