L’Allemagne a connu le premier attentat-suicide islamiste à la bombe sur son territoire. Selon l’enquête des autorités, les motivations du jeune réfugié syrien, qui s’est fait exploser, dimanche 24 juillet, au moyen d’une bombe artisanale à l’entrée d’un concert en plein air à Ansbach en Bavière, qui rassemblait plus de 2 000 personnes, ne font désormais plus de doute. S’il n’est finalement parvenu qu’à blesser quinze personnes, dont cinq gravement, il poursuivait clairement le but de tuer un grand nombre de personnes « au nom d’Allah », « dans un acte de revanche contre les Allemands », a-t-il déclaré dans une vidéo. L’attentat a été revendiqué par l’organisation terroriste Etat islamique (EI).
Pour la chancelière, Angela Merkel, le pire des scénarios est devenu réalité. Non seulement l’Allemagne voit la fin de son statut de pays encore épargné par le terrorisme islamiste, mais l’attentat a été perpétré par un réfugié syrien. Un an après l’arrivée sous les applaudissements des premiers trains de migrants en gare de Munich, la « culture de l’accueil » allemande subit un très douloureux revers. Alors que 1,3 million de migrants sont arrivés entre 2015 et début 2016, le gouvernement prépare le pays à de nouveaux attentats. Difficile, dans ces conditions, de croire sur parole l’optimisme de Mme Merkel, qui n’a cessé d’assurer à son pays qu’il était en mesure de relever le défi.
Ce quatrième acte de violence en moins d’une semaine, en particulier dans les villes petites et moyennes habituellement les plus protégées du territoire, crée un véritable choc en Allemagne. Dans une déclaration lundi au ministère de l’intérieur, Thomas de Maizière a déploré une « succession inquiétante d’actes de violence », et reconnu l’impossibilité « d’exclure à 100 % de nouvelles attaques ». Il a appelé ses concitoyens au calme et à la pondération. « Notre Etat de droit est fort et reste fort », les Allemands doivent être « attentifs, mais ne pas changer leur comportement », a-t-il déclaré. La chancelière, en vacances, ne s’est pas encore exprimée.
Cette réserve d’Angela Merkel, habile dans le cas de la tuerie de Munich, est-elle adaptée dans ce cas ? Comme les événements de la Saint-Sylvestre à Cologne, où plusieurs centaines de femmes avaient été agressées sexuellement par de jeunes migrants, l’attentat d’Ansbach est un tournant dans le dossier des réfugiés. Après l’attaque à la hache dans le train de Würzburg le 18 juillet, le directeur de la chancellerie, Peter Altmaier, avait assuré qu’il n’y avait pas de risque de terrorisme en lien avec les réfugiés, car la plupart des auteurs des attentats récents avaient grandi en Europe. Il n’est pas réintervenu depuis l’attentat d’Ansbach.
Situation tendue
Les Allemands découvrent aussi, avec cette attaque, la deuxième phase, la plus difficile, de l’accueil des migrants. Après l’immense effort logistique et organisationnel de l’accueil d’urgence réalisé grâce au soutien enthousiaste de milliers de bénévoles, les Allemands comprennent qu’ils ont potentiellement accueilli des personnes dangereuses, et que l’intégration ne se résume pas à avoir un toit et des chaussures solides. Ils se rendent compte de l’extrême fragilité de ces personnes déracinées, inactives, au passé traumatique, susceptibles de se radicaliser.
Politiquement, la situation est extrêmement tendue. Le spectre agité depuis longtemps par l’AfD (extrême droite) est devenu réalité. La CSU, parti bavarois allié de l’Union chrétienne-démocrate d’Angela Merkel, se voit confortée dans sa position très critique sur le dossier des réfugiés. Horst Seehofer, le ministre président de Bavière et président du parti, a demandé un renforcement des contrôles sur les arrivées et les migrants déjà présents dans le pays. A l’autre extrémité politique, Sahra Wagenknecht, présidente du groupe parlementaire Die Linke (gauche radicale) au Parlement, a elle aussi renouvelé ses critiques vis-à-vis de la politique d’accueil de la chancelière et également appelé à davantage de contrôles. Une position rejetée au sein de son parti, mais partagée par beaucoup dans les milieux populaires.
L’homme à la bombe, appelé Mohammed Dalil, a revendiqué son acte dans une vidéo tournée sur son téléphone portable, qu’il a fait parvenir à l’EI et aux autorités allemandes. Il y fait allégeance au chef de l’EI, Abou Bakr Al-Baghdadi, suivant le mode opératoire conseillé par l’organisation, et annonce son opération à Ansbach « en représailles des crimes de la coalition à laquelle appartient l’Allemagne », ainsi que de nouvelles attaques. L’EI a indiqué lundi après-midi sur son canal de propagande Aamaq que l’acte était le fait « d’un de ses soldats », ce qu’a confirmé la radio Al-Bayan de l’EI dans la soirée.
Blessures de guerre
Les enquêteurs ont pu reconstituer l’histoire dramatique du terroriste d’Ansbach. Né à Alep, dans le nord de la Syrie, il y a 27 ans, Mohammed Dalil était arrivé en Allemagne il y a deux ans, en juillet 2014. Il venait de Bulgarie, où il avait déjà obtenu l’asile en 2013. En août 2014, il avait déposé une demande d’asile en Allemagne, qui lui avait été refusée, en raison de son statut de réfugié déjà reconnu en Bulgarie. Contraint de quitter le pays, il s’était cependant vu concéder un titre de séjour provisoire en février 2015. Mais, le 13 juillet, l’administration lui a notifié qu’il devait quitter l’Allemagne, le menaçant d’expulsion vers la Bulgarie.
Lors de l’autopsie de son corps, les médecins légistes ont découvert des traces de blessures de guerre. L’homme se trouvait en situation de grave fragilité psychologique. Depuis son arrivée, il avait fait deux tentatives de suicide, et faisait l’objet d’un suivi psychiatrique. Une victime idéale pour les recruteurs de candidats à l’attentat-suicide, a rappelé hier le ministre de l’intérieur, Thomas de Maizière.
L’utilisation d’une bombe garnie de projectiles coupants, fabriquée pour tuer ou blesser un grand nombre de personnes, suppose une préparation élaborée, éventuellement avec l’appui de complices. Dans le logement de Mohammed Dalil, un centre de réfugiés d’Ansbach, les enquêteurs ont découvert assez de matériel pour fabriquer d’autres bombes : bidon d’essence, acide chlorhydrique, fer à souder, diluant nitro et lampes de poche, qui peuvent servir d’allumeur. Ces éléments suggèrent un niveau de technicité qui va bien au-delà des précédents attentats djihadistes de Nice et de Würzburg.
Cécile Boutelet
Source : Le Monde