Le lundi 13 juin 2016, un jeune français issu de l'immigration maghrébine résidant au Val Fourré à Mantes-la-Jolie, le principal quartier difficile de l'agglomération mantoise, a assassiné un couple de policiers demeurant dans la commune pavillonnaire de Magnanville, la plus recherchée du secteur, avec sa voisine Buchelay. Cet évènement constitue un bon exemple des tensions que connaissent les périphéries des grandes métropoles françaises, qui se caractérisent par de fortes différenciations socio et ethno-spatiales.
En effet, contrairement à ce que de nombreux chercheurs en sciences sociales, dont les travaux ont parfois été subventionnés par les monarchies du golfe, ont voulu nous faire croire, les processus de ségrégation dans les grandes métropoles n'ont fait que s'accentuer au fur-et-à-mesure du temps. L'image idyllique de territoires aux flux migratoires limités, où cohabitent les communautés en harmonie les unes avec les autres n'a jamais correspondu à la réalité. Elle relevait simplement d'une prise de position idéologique, visant pour certains à prendre ses désirs pour des réalités, mais pour la plupart à nier la réalité du terrain pour évacuer le fait que l'Etat (l'écrasante majorité des chercheurs en France sont des fonctionnaires) n'a pas su gérer de manière adéquate les problèmes depuis les années 1980, malgré les sommes considérables investies. Consécutivement à ce mauvais diagnostic, les tensions qui se faisaient jour, fruits de la fragmentation spatiale en cours, ont été constamment sous-estimées aboutissant à la situation actuelle où, à la surprise d'une élite politique qui se voile la face, le point de non-retour semble atteint dans certains territoires, comme en témoigne le cas du Mantois, qui se présente comme la juxtaposition de quatre ensembles territoriaux au fonctionnement relativement autonome.
Le premier, de loin le plus connu du grand public, est le grand ensemble du Val Fourré, qui correspond à la partie occidentale de la commune de Mantes-la-Jolie, et comprend approximativement la moitié de la population de la ville, soit un peu plus de 20 000 habitants. Construit pendant les Trente Glorieuses, complètement déconnecté du reste du territoire communal et mal relié par les transports en commun, ce quartier se caractérise en 2016 par un fort pourcentage de personnes d'origine étrangère, en particulier chez les jeunes, produit d'une immigration, à l'origine liée aux besoins en main d'œuvre de l'usine automobile Renault de Flins-sur-Seine, la plus importante du groupe en France. Selon les chiffres des démographes Bernard Aubry et
Michèle Tribalat, dans certains sous-ensembles du Val Fourré, dénommés par l'Insee par le romantique terme d'Iris, le pourcentage de jeunes d'origine étrangère égale ou dépasse les 90 % en 2007-2011! La politique de rénovation urbaine menée par l'Etat, si elle a eu un impact certain sur le plan urbanistique, à travers les programmes de démolition-reconstruction et d'aménagement de l'espace public, n'est cependant pas suffisante pour résoudre un problème d'ordre socio-économique et culturel. Le chômage y demeure considérable et le revenu médian par unité de consommation en 2015 n'est que de 9200 euros selon le CGET, soit en-dessous de la moyenne des zones urbaines sensibles de France.
Le deuxième ensemble territorial de l'agglomération comprend le reste de la commune de Mantes-la-Jolie, soit le centre historique avec ses faubourgs, mêlant habitat pavillonnaire et petits collectifs, auquel s'ajoute la partie septentrionale de Mantes-la-Ville au profil proche. Les classes moyennes dominent, la population étant beaucoup plus mélangée, se composant à la fois d'anciens habitants historiques, dont ce qui reste d'une petite bourgeoisie locale, mais aussi de personnes issues de l'immigration un peu plus argentées que la moyenne, c'est-à-dire en phase d'ascension sociale. Cela se traduit par un pourcentage de jeunes d'origine étrangère moindre qu'à l'échelle communale selon les données de Monsieur Aubry et Madame Tribalat, autour de 30 % en moyenne en 2007-2011 contre 60,8 % en moyenne sur l'ensemble de la commune, et seulement 10 % dans le secteur le plus bourgeois. Concernant les revenus par unité de consommation, si nous n'avons pas de données pour l'ensemble, la médiane de la ville étant à 15 000 euros en 2012, elle est donc probablement proche de 20 000 euros, soit plus du double du Val Fourré! La commune de Mantes-la-Jolie se caractérise donc par de forts contrastes sociaux.
Au nord, sur l'autre rive de la Seine, la commune de Limay, qui compte 16 000 habitants, constitue un troisième ensemble territorial individualisé. Si son profil urbanistique ressemble à la partie centrale de Mantes-la-Jolie, se présentant essentiellement comme une commune de petits collectifs et d'habitat individuel, son profil social apparaît un peu moins élevé. Ce dernier l'apparente aux classes moyennes basses, les employés et les ouvriers représentant 60 % de la population en 2012. En effet, Limay abrite sur son territoire un port fluvial et se situe à proximité de la centrale électrique de Porcheville. Cependant, sa principale spécificité est d'accueillir des classes populaires plutôt d'origine européenne, d'où le maintien d'une municipalité communiste depuis la seconde guerre mondiale, ce qui la différencie grandement du Val Fourré. Etant donné la fracture géographique que constitue la Seine, Limay a tendance à vivre en vase clos.
Enfin, le dernier grand ensemble territorial de l'agglomération, se situe au sud de l'autoroute A 13, regroupant les communes de Buchelay, Magnanville, et la partie méridionale de Mantes-la-Ville. Il se caractérise par un profil social plus aisé, avec une part plus élevée de cadres et professions intermédiaires, à l'exception notable du quartier des Merisiers et du domaine de la vallée à Mantes-la-Ville. Dans les deux premières communes, le revenu médian par unité de consommation, à peu près identique en 2012, est supérieur à 22 000 euros et le taux de pauvreté n'est que de 6 %. L'homogénéité sociale y est relativement importante du fait de leur caractère quasi exclusivement pavillonnaire avec de grands lotissements, pour la plupart construits dans les années 1970-80. Par exemple, la population de Magnanville est passée de 685 habitants en 1968 à 6265 en 1990. Un jeune étudiant, interrogé il y a quelques années, décrivait la ville comme «très agréable».
En 2016, l'agglomération mantoise présente donc une ségrégation
socio-spatiale certaine, qui s'est accentuée au fur-et-à-mesure du temps car elle a pris un caractère de plus en plus ethnique. En effet, parallèlement à sa paupérisation généralisée, le grand ensemble du Val Fourré a vu la composition ethnique de sa population se modifier considérablement, car il a été quitté massivement par les classes populaires et moyennes d'origine européenne en phase d'ascension sociale, remplacées au fur et à mesure du temps par les immigrés et leurs enfants. Le quartier est devenu un sas avec l'étranger du fait de la politique du regroupement familial, conduisant à une croissance naturelle élevée. A contrario, si les quartiers pavillonnaires du sud de l'agglomération ont été plébiscités par les populations d'origine européenne, il n'en demeure pas moins qu'un bon nombre d'entre elles, en particulier les plus riches, ont tout simplement quitté l'agglomération mantoise, soit pour rejoindre l'espace périurbain, soit pour se rendre en Province.
Laurent Chalard